16 septembre 1914. Les habitants arrivent les uns après les autres



16 septembre 1914. Baccarat

Les habitants arrivent les uns après les autres : ce sont des cris, des larmes, surtout lorsqu’arrivés au tournant de la route de Ménil et de la Grande-Rue ils aperçoivent le décor tragique des maisons brûlées.

M. Michaut, le directeur de la Cristallerie, me conte le fait suivant : il rencontre un commandant bavarois sortant de chez lui, une paire de chaussures de chasse à la main : « J’ai trouvé vos chaussures qui font fort bien mon affaire, dit l’Allemand à M Michaut ; trouvez-moi donc vos bandes molletières, je n’ai pu mettre la main dessus. » M Michaut répond qu’il n’en a pas. Alors le major se dirige vers la longue file de cadavres français que les Michaut sont occupés à enterrer et s’arrêtant devant le corps d’un officier de chasseurs, il se baisse et déroule tranquillement les bandes molletières du mort. Ce même major emporta tout le linge personnel de M Michaut qui, fort riche, se trouve en ce moment avec un mouchoir pour tout linge.

L’après-midi, j’ai visité avec le Dr Schmitt, de Baccarat, le champ de bataille entre Basien, Nossoncourt, Ménil. Il n’y a plus de cadavres, mais il y a partout des petites tombes.

Dans chaque village, il n’y a plus guère que deux ou trois maisons debout, le reste n’est que ruines. Dans une grange nous trouvons trois chevaux morts et les cadavres de deux soldats allemands. Dans une tranchée, je vois le fauteuil en velours rouge du curé de Nossoncourt. Il paraît que l’on a trouvé un officier comme assoupi, la tête appuyée au dossier, les bras aux appuie-coude : il était mort. C’était un capitaine prussien. Pour se protéger contre les obus dans les tranchées les Allemands s’étaient confectionné des toitures avec des panneaux de buffet, des portes d’armoires à glace.

Il y a dans les bois entre Baccarat et Ménil des milliers de bouteilles vides, des paniers à obus, des bidons, des selles, des sacs, des fusils, toujours des fusils, que de fusils !

Les habitants émigrés regagnent leurs villages sous la pluie battante ; on n’imaginerait pas ce retour sinistre sous un beau soleil. Ils reviennent, ils n’ont plus de maison, mais telle est la ténacité du paysan que déjà on les voit mesurer de l’œil la hauteur des murs encore debout et calculer combien de solives, de planches, de mortier, de tuiles et de clous il leur faudra pour reconstruire la maison familiale.

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