26 août 1914 Deyvillers (Vosges)
La canonnade reprend ce matin, plus lointaine. A minuit les officiers ont reçu l’ordre de prendre leurs cantonnements d’alerte : ils ont passé la nuit auprès de leurs hommes, dans la paille. On met Deyvillers en état de défense. On fait des meurtrières dans les murs des maisons, on dispose les clôtures en créneaux. Boulanger a trouvé derrière notre maison un excellent emplacement pour ses mitrailleuses.
Des blessés passent, isolés, porteurs surtout de plaies des membres supérieurs et de la tête. Ils n’ont plus ni sac, ni fusil, ni bidon. Mais comme leurs yeux et leurs joues sont creux !
Une vieille femme émigrée me demande des soins pour son petit fils -13 mois- qui meurt d’une entérite dans sa petite voiture : triste berceau, triste mort dans la poussière des routes[…]
Je fais monter deux ambulances d’Epinal pour aider à l’évacuation des émigrés dont la plupart ne peuvent plus se traîner. A Aydrilles, montent dans la voiture la femme et la fille d’un colonel de cuirassiers retraité à Rambervillers ; je les ai trouvées dans une charrette vosgienne en compagnie de dix ou douze miséreux fuyant l’ennemi.
Au loin, on aperçoit montant vers le ciel orageux les colonnes de fumée des villages qui brûlent : Ménil-sur-Belville, Anglemont, Sainte-Barbe.
Les gendarmes-cyclistes fouillent la région à la recherche des déserteurs : quatre artilleurs qui s’étaient costumés en civils sont pris et fusillés. Deux coloniaux qui avaient quitté le combat, les mains recouvertes de faux pansements sont fusillés par leurs camarades.
Dans la nuit on aperçoit le ciel rouge d’incendies vers Baccarat. On arrête deux territoriaux qui, le sac au dos, le fusil garni, s’en allaient à leur gré faire le coup de feu où l’on se bat.