24 décembre 1914. Nuit merveilleuse !… Nuit de Noël…



24 décembre 1914. Berry

Nuit merveilleuse !… Nuit de Noël… La campagne est toute blanche sous la lune. Il gèle. Les coups de feu claquent sec. Vers 5h, à la hauteur du 4ème bataillon, éclate une Crise : fusils, mitrailleuses, canon. Elle est particulièrement violente et ses éclats font comme un orage au clair de la lune.

Alors, par cette nuit où en d’autres temps des enfants ne dorment que d’un œil, des jeunes gens veillent joyeusement, des églises s’emplissent d’une foule émerveillée, alors, dans ma petite masure, où il fait froid, commence un défilé sanglant d’hommes meurtris… Celui-ci n’a plus qu’un pied ; au bout de sa jambe un moignon fait de chair, de sang et de boue : il est mort, un éclat d’obus dans la tête ; son portefeuille est bourré des lettres d’une fiancée et la photographie de cette dernière la montre jolie avec un petit air mélancolique : derrière la photographie : « Si je meurs, envoyer le portrait et les lettres à Mademoiselle X à Loches. »

Celui-là m’est amené, le ventre largement ouvert par un éclat d’obus… L’intestin sort. Le pauvre garçon n’a qu’un mot : « A boire… A boire !… » Il va mourir.

Cet autre, un gros homme du Midi, sapeur du génie, revenait du travail de sape la pelle sur l’épaule : une balle dans la poitrine lui ouvre l’artère sous-clavière : il meurt en arrivant.

Encore un : le côté ouvert, très sanglant. Mais peu grave. Il demande à gagner l’ambulance à pied.

Quel défilé dans cette jolie nuit claire, cette nuit de Noël !

A 11h on amène de la tranchée le corps du sergent Delhoume. Une boîte à mitraille lui a enlevé la calotte crânienne comme on lèverait un couvercle, et ce garçon qui sort de l’Ecole Normale de Limoges, est là, inerte, sans trace de cerveau.

A minuit, à l’heure divine, sous la lune merveilleuse, la fusillade continue comme à l’ordinaire, obstinée. Et soudain, des tranchées allemandes s’élève, sur l’accompagnement du fifre, le Deutschland über alles… Et tel est l’orgueil de ce peuple qu’en l’honneur de l’enfant divin il ne trouve rien de mieux à chanter que cet hymne de vanité exécrable1. Et tout de même c’est très grand ce chant qui s’élève des tranchées vers les étoiles… Je suis bêtement ému de l’écouter… Il est grave, il s’accompagne du son léger du fifre et de la tambourinade des fusils… Et près du chemin creux, d’où je l’écoute, je vois étendus sur la terre gelée quatre cadavres dont l’immobilité, la pâleur et les plaies sanglantes sont comme une muette protestation contre l’hymne germain.

1

Cet adjectif a été ensuite rayé d’un trait de crayon.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Publié dans Un Goncourt dans la Grande Guerre | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

24 décembre 1914 : le 113e a 400 hommes hors de combat



Le jeudi 24 décembre 1914
Le ravitaillement se fait la nuit vers la route de Neuvilly. Nous sommes toujours en première ligne et nous souffrons beaucoup du froid. L’artillerie française tire sur Boureuilles et les toitures de tuiles s’écrasent au milieu de la fumée.

Continuer la lecture

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Publié dans Eugène à la guerre | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

22 et 23 décembre 1914 : il fait froid, la neige tombe et il faut repartir en première ligne



Le mardi 22 décembre 1914
Nous creusons une tranchée dans le talus où nous nous sommes arrêtés hier. Nous avons froid aux pieds toute la journée et toute la nuit. Les Allemands nous envoient toujours des obus. A 22 h nous quittons nos emplacements et nous allons à 600 m plus à gauche. A peine arrivés, il nous faut revenir aux emplacements que nous venions de quitter, toujours par la nuit noire et à travers des tranchées et des trous d’obus. Un avion a poursuivi un Taube et a tiré dessus.

Le mercredi 23 décembre 1914
A 4 h nous partons pour les premières lignes auprès de Boureuilles, nous y arrivons après deux heures de marche dans l’eau et dans la boue, à travers la plaine. Ceux que nous remplaçons ont tout juste le temps de s’éloigner avant la pointe du jour. Impossible de sortir de la tranchée dans la journée. Le 3ème bataillon attaque Boureuilles par la route de Neuvilly. La neige tombe la nuit.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Publié dans Eugène à la guerre | Marqué avec , , | Laisser un commentaire

20 et 21 décembre 1914 : Henri Moisy et ces éclats d’obus qui déchirent manche et bretelle



Le dimanche 20 décembre 1914
Le bataillon quitte Courcelles à 5 h. Nous passons à Neuvilly et ensuite nous traversons des prés couverts d’eau. Nous restons toute la journée à la lisière d’un bois sous la pluie qui ne cesse pas un instant. Violente canonnade française. A 19 h nous revenons à Neuvilly. Je couche dans une grange.

Continuer la lecture

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Publié dans Eugène à la guerre | Marqué avec , , , | Laisser un commentaire

« Heureux les épis mûrs… » La mort de Charles Péguy



Patriote, socialiste libertaire, catholique des marges, dreyfusard, poète mystique habité de visions, Charles Péguy, l’Orléanais, fut tout cela.

Mais en août 14, a 41 ans, il part en campagne dès la mobilisation, dans la 19e compagnie du 276e régiment d’infanterie. Lieutenant dans la réserve,  il en est l’un des chefs de section. Celui que ses soldats appellent « le Pion » meurt pendant les combats de la bataille de l’Ourcq à la veille de la première bataille de la Marne, tué d’une balle au front, le samedi 5 septembre 1914 entre Penchard et Villeroy (près de Le Plessis-l’Évêque, lieu cité pour sa mort sur la fiche du Ministère de la Défense),  non loin de Meaux, alors qu’il exhortait sa compagnie à ne pas céder un pouce de terre française à l’ennemi. Il serait mort, selon Victor Boudon, l’un des ses camarades de combat présents à ses côtés, en disant : « Oh mon Dieu, mes enfants…».

Selon le maréchal Juin, le 5e bataillon du 276e RI, dans lequel se trouvait Charles Péguy, est venu en soutien sur le flanc gauche de l’attaque de Penchard, menée par la brigade marocaine, pour une mission de sacrifice sur un terrain à découvert. L’attaque échoua faute d’une préparation d’artillerie.

Un de ses proches, Joseph Le Taconnoux, que ses camarades mobilisés surnommaient Taco, a rapporté qu’avant son départ pour le front, Péguy lui avait affirmé : « Tu les vois, mes gars ? Avec ça, on va refaire 93 ».

« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. (…)
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu (…)
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. »

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Publié dans Portraits | Laisser un commentaire