4 novembre 1915. Epinal
Je suis descendu à Epinal me ravitailler en livres. J’y ai vu Hartmann, toujours bien maigre et bien pâle, le pauvre petit. J’y ai vu Renée Voisin, toujours à son poste à l’hôpital Saint-Joseph – elle s’y trouve depuis le 2 Août 1914- Et tout ce que j’ai vu d’autre m’a profondément écoeuré : comme en Août, les mêmes médecins devant les mêmes bocks – seule la bière a changé-, les mêmes sinistres élégances d’embusqués, les mêmes « inaptes » simulant la boiterie ou la tuberculose. J’ai dîné dans la salle élégante, illuminée, bruyante de l’hôtel du Louvre où l’on voit à une petite table présidée par le général Francfort (sur-le-Mein) Hansi plus voûté que jamais sous le poids de l’ennui (il est sous-lieutenant-interprète) et quatre colonels du génie et de l’artillerie. A une autre table un officier de chasseurs à cheval et sa maîtresse. A d’autres, trois aviateurs en rupture d’ailes, des médecins très animés par le Clicquot, à une autre des médecins, à une autre deux simples soldats costumés en officiers dont l’un est le filleul du général Dubail, type d’ « embuscadin ».1
Et j’ai vu passer dans la rue Madame Gresser, femme de mon cher camarade : elle allait rapide et les yeux baissés, comme hâtive d’échapper au spectacle de tous ceux-là qui ne se battent pas et qui ne se battront jamais en dépit de toutes les lois Dalbiez. Et j’ai songé à Gresser, tapi là-bas, du côté de Tahure, dans son petit trou de craie, de sang et de puanteur sous la pluie infernale des obus et des torpilles[…]
« embuscadin » :
Bedel n’a t-il pas plutôt plutôt voulu rappeler le terme de » muscadin » qui désignait sous le Directoire la jeunesse dorée et « muscadée » et oisives qui hantait les allées des Tuileries dans d’improbables accoutrements ?