6 juin 1918. Les Américains arrivent, arrivent.



6 juin 1918.

Les Américains arrivent, arrivent. Une division américaine est en ligne vers Altkirch. Une seconde arrive aujourd’hui à Gérardmer. Deux autres sont annoncées. Les Américains qui traversent les océans par masses de 20, de 30, de 40.000 guerriers, les Américains arrivent, arrivent. Ils sont frais, ils sont beaux, ils sont propres, ils sont rieurs, ils sont braves, ils boivent du champagne, ils mangent « du boche », il y en a du Michigan, il y en a de Cincinnati, il y en a qui étaient bateliers sur le Missouri, il y en a qui étaient crieurs de journaux à New-York, cireurs de bottes à San-Francisco, cow-boys dans la prairie, il y en a qui ont guerroyé au Mexique (ils sont tous officiers ceux-là), il y en a qui sont Allemands, il y en a qui sont Irlandais, il y en a qui sont Italiens, il y en a qui sont de partout et de nulle part, mais tous ils ont des dents en or, des épaules carrées et des idées généreuses, tous…ou presque, car ceux qui ne sont pas ainsi faits devraient l’être.

Mêlés aux Français, dans les forêts brisées de la Chapelotte, ils ont subi cette nuit la dure épreuve d’une attaque par « projectors » aux gaz toxiques : cinq à six cents petits lance-bombes ont été amenés sournoisement à pied d’œuvre par l’adversaire devant les tranchées franco-américaines et à deux heures du matin, dans un tragique ensemble, les six cents bombes ont brutalisé le sommeil des dormeurs sans masques… peu d’entre eux en ont réchappé… Les autres sont morts. Ils sont morts sur le terrain ou dans les ambulances de Raon-l’Etape, rendant l’âme dans une bouffée de mousse sanguinolente. Mort chimique, mort affreuse, la mort à l’oxychlorure de carbone, dans la forêt, sous les étoiles.

Ils sont venus du Michigan, de Cincinnati, de New-York, de San Francisco pour mourir empoisonnés, sans beauté, sans gloire, sans fusil dans les forêts des Vosges. L’Histoire trouvera cela sublime… Peut-être, en effet, est-ce sublime ?…

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