9 janvier 1917. Courrier !… Le courrier !… Vive la France ! Vive l’armée !



9 janvier 1917. M’rirt

Courrier !… Le courrier !… Vive la France ! Vive l’armée ! Et vive donc l’honorable Monsieur Poincaré ! Durand, sans tambours ni trompettes, est passé ce matin sous le nez des Zaian endormis. Vive Durand !

Ce n’est pas un petit événement que l’arrivée à M’rirt d’un courrier de France. Les lettres sont vieilles d’un mois, mais qu’importe ! On apprend tout à coup tant de choses ! Courtois apprend, comme ça, soudain, que son fils aîné aspirant a eu une jambe broyée il y a trois semaines, devant Douaumont.*

Au fond il est très fier, car –allez donc comprendre ça !- les familles se sentent pénétrées d’orgueil qu’un de leurs ascendants, descendants, collatéraux ou alliés soit, lui, pénétré d’obus. Il est très fier, le bon Courtois, mais aussi il est très peiné et son visage, exprimant ces deux sentiments opposés, est semblable à une interprétation futuriste de La joie fait peur. Je le regarde et je vois réalisée sur cette grosse face piriforme et tondue rase la joyeuse douleur de Gargantua à la naissance de Pantagruel, laquelle naissance coûta la vie à Badebec, la mère. Et ce disant, pleurait comme une vache, mais tout soudain riait comme un veau…

J’apprends aussi que le Maroc est un pays chaud, avec des palmiers, des lions et des mirages*. Des Vosges, on m’écrit : « Sacré veinard ! Tu as chaud (mon thermomètre marque en ce moment – 3° à ma porte)… au lieu de sinistres sapins, tu as des palmiers courbant sous le poids de leurs dattes (je regarde le bled où trois chardons élancent gracieusement leurs tiges épineuses…) Tu as pour toi l’espace, l’ivresse des longues randonnées d’oasis en oasis (ô mon Zaian, rends-moi la liberté !) Tes oreilles bercées du son des flûtes bédouines ignorent le vacarme grossier des marmites (Feu !… hurle Lampier. Paougne ! Paougne !… font les canons) Et surtout sois prudent : on dit que la chasse aux lions ne va pas sans danger…etc…etc. » Je connais le refrain : « songe à ta femme, songe à ta mère, songe à ta fille… Prends garde aux panthères, aux serpents, aux Cobra Capello, aux coups de soleil, aux coups de lune, aux araignées, aux mendiants qui sont des lépreux, aux tremblements de terre, aux cyclones, au Simoun, aux entorses, aux moustiques, à la fièvre jaune, aux puces, aux éléphants… » Et dire que personne ne songe à m’écrire : « Prends garde aux Marocains qui ont des fusils. »

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Une réponse à 9 janvier 1917. Courrier !… Le courrier !… Vive la France ! Vive l’armée !

  1. patrice ponsard dit :

    Bon, à M’Rirt l’euphorie succède à un court moment d’abattement…
    Tant mieux !
    Sursum corda !

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