6 janvier 1917. Oui, véritablement, ces Zaian ont de la tenue et leurs gestes ont de la peine à être inélégants.



6 janvier 1917.  M’rirt

Oui, véritablement, ces Zaian ont de la tenue et leurs gestes ont de la peine à être inélégants. Ils ont visité, dans la nuit, le cimetière. Tout autre ennemi eût bouleversé l’harmonie des tombes, renversé les croix et les croissants, voire même dispersé les ossements des morts. Les Français de 93 agissaient ainsi, au nom de je ne sais quels principes d’égalité et de fraternité, parmi les sépultures de leurs rois, à Saint-Denis. Les Zaian ne savent pas piller, j’entends piller comme j’ai vu faire aux Français à Rambervillers, aux Allemands à Badonviller. Piller, c’est se déchaîner avec ivresse contre les objets, et particulièrement contre les choses auxquelles s’attache une idée sentimentale et d’émotion rétrospective. Il n’est pas de maison où les pillards ne recherchent, immédiatement après les bouteilles et l’argenterie, l’album des photographies de famille, le tiroir aux lettres –ah !si ça pouvait être des lettres d’amour !- les tableaux de cheveux et le chapelet de 1ère Communion. Il n’est pas de village où l’ennemi n’ait soigneusement souillé l’église, du tabernacle au bénitier, et mutilé ou violé les tombes – celle de la famille de Poincaré à Sampigny où les Allemands agirent à la manière des sans-culottes de Saint-Denis.-

Ici, rien de tout cela. Une tribu, ivre de liberté, que nous harcelons sans répit de nos obus et de nos mitrailleuses, de nos fusils et de nos pièges à mélinite, ne sait pas se venger sur nos morts des insultes qu’on lui prodigue. Il y a quelque chose de touchant dans cette hésitation à brutaliser l’enclos des morts. Quelques hommes, à la faveur de la nuit, s’y sont introduits. Ne croyez pas qu’ils ont jeté à terre les croix de bois, lacéré les couronnes, détruit les naïfs emblèmes en gazon dessinés sur les tombes. Négligemment, du bout du pied, ils ont dérangé quelques-unes des pierres qui bordent ces étroits tumuli et puis, pour donner probablement aux femmes la preuve de leur audace, ils ont emporté la petite croix de pierre qui s’érigeait sur la stèle du lieutenant Bruyant. Je vous dis que ces gens-là, sur qui nous avons tiré hier plus de deux mille cartouches, ignorent la basse vengeance et les vilenies de la guerre. Le parallèle est plaisant à faire entre ces « sauvages » et les « civilisés » d’Europe.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Un Goncourt dans la Grande Guerre, avec comme mot(s)-clef(s) . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à 6 janvier 1917. Oui, véritablement, ces Zaian ont de la tenue et leurs gestes ont de la peine à être inélégants.

  1. Ponsard Patrice dit :

    Je sens l’ami Maurice admiratif des preux Zaïans, et il a tout à fait raison, ils sont au sens propre des seigneurs, que l’on vient inutilement envahir avec la volonté de les soumettre…Quelle triste erreur !
    Qui sont les vrais sauvages et les vrais civilisés dans cette affaire ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>