23 décembre 1916. Une journée de printemps. Pas un nuage.



23 décembre 1916. M’rirt

Une journée de printemps. Pas un nuage. L’air pur et net. Le soleil a fait un beau voyage de l’orient à l’occident sans rencontrer l’obstacle d’une seule nuée. Il fait, je me répète à dessein, un temps des temps bibliques. Hier soir, le ciel étoilé était celui de la fuite en Egypte. Le chant d’un unique grillon emplissait les espaces du bled. Il était la prière adorante de la terre heureuse d’avoir bu le soleil à grands traits… Hier soir, par exception, les chacals ne gémirent point.

Aujourd’hui a été semblable à hier. Et comme hier, hélas ! le canon a détruit l’harmonie des éléments. Partout on voit des troupeaux. Ils descendent de la montagne, du Taraft, de la Gara, de l’Amane Iramenine et des montagnes sans nom qui sont à l’ouest du poste. D’autres montent sur le plateau verdoyant de M’rirt, venant des fonds mystérieux qui sont là-bas, au pied d’une mauve falaise et qu’arrose l’oum er Rbia. Les chèvres font des petits tas noirs très visibles. Les moutons se confondent avec le chaume. Les cavaliers, montés sur des chevaux bruns, font des galops et leurs silhouettes délicates, détachées sur l’herbe verte des mamelons ou le bleu tendre du ciel, semblent celles des héros magnifiques que l’on a appris à aimer en écoutant Shéhérazade. De grâce, capitaine Courtois, laissez ces beaux jeunes gens jouir de l’ivresse charmante de nous provoquer ! Laissez vos canons et vos mitrailleuses… Le capitaine m’a écouté et j’ai pu pendant une heure m’offrir le luxe de voir Joseph et ses frères jouer à des jeux guerriers dans une prairie de leur Chanaan.

Enhardis par le silence de nos armes qui n’avaient rien dit jusqu’à une heure après midi, les bergers poussaient davantage leurs troupeaux vers l’herbe tendre de la plaine, des laboureurs se hâtaient de tracer des sillons dans le sol gras des terrains d’alluvion. Mais Courtois, la jumelle aux yeux, était là qui veillait… Quand chèvres, moutons, bœufs, cavaliers furent bien nombreux, bien groupés, bien à portée de fusil, il fit ouvrir sur les uns et sur les autres le feu de ses canons et de ses mitrailleuses. Vacarme effroyable. Débandade tragique. Courses folles de cavaliers poussant leurs bêtes apeurées vers les ravins protecteurs. Laboureurs abandonnant en hâte leur charrue, détalant et entraînant leurs chevaux. Et puis, là-dessus, les petits nuages ronds et grisâtres des shrapnells, seuls nuages de cette belle journée…

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