2 au 16 août 1916. Quand il fait très beau c’est vraiment très beau, l’Alsace.



2 au 16 août 1916.

Il fait très beau. Quand il fait très beau c’est vraiment très beau, l’Alsace.

Je vais, je viens, je furète partout, je passe une journée à Metzeral dans les ruines puantes, une journée à Mittlach qui reçoit depuis quelque temps de sévères bombardements (un infirmier tué l’autre jour dans l’escalier de l’ambulance alpine.) Hier, j’ai déjeuné avec Passerat dans la tranchée de Klyserstein. C’est dans un bois de chênes, entre le Reichackerkopf et l’Altmattkopf. Passerat est triste malgré toute sa philosophie de gai parisien : un obus avant-hier lui a tué trois hommes et en a blessé quatre : ils étaient à se chauffer au soleil devant leur sombre et humide abri lorsque l’ennemi commença de bombarder la tranchée à quelque cent mètres à leur droite : « C’est la section à l’adjudant qui prend !… Et qu’est-ce qu’elle prend !… » Vrrrfttt !… Braaaoum !… Un obus percute en plein parapet et déchire les sept fumeurs de pipe.

Nous déjeunons mélancoliquement dans le trou où gît et vit Passerat. Une balle de temps en temps claque dans les branches. Ca sent mauvais le chlorure de chaux, la moisissure et toutes sortes d’autres choses. Le soleil, dehors, est cuisant. Les Allemands sont là, derrière ces petits chênes, à 150m. Leur tranchée, avec ses parapets en sacs de terre blanchâtres, est aussi calme que la nôtre ; comme nous, le leutnant et son toubib mangent mélancoliquement au fond d’un trou encore plus noir et plus humide que le nôtre. Mais je cherche en vain chez l’ennemi les signes de lassitude dont les journaux sont pleins. De l’autre côté de la Fecht, le kiosque, calme depuis quelques jours, reçoit une grêle de minen. Imaginez le kiosque à musique de Châtellerault recevant une centaine de locomotives à raison d’une toutes les deux minutes. Et Nous ne répondons pas ! Avec quoi répondrions-nous ? Avec des canons ? Où sont-ils ? Avec des crapouillots ? Le 253 et le 215 ont bien trop peur de tirs de représailles. Alors on ne répond pas et on a l’air stupidement pleutre. C’est froissant.

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