1er juillet. les tranchées de l’Altmattkopf sentent l’os sec et l’urine fermentée



1er juillet

Sous le soleil ardent de juillet, les tranchées de l’Altmattkopf sentent l’os sec et l’urine fermentée. Mais tout le long des boyaux, des fleurs de prairie vous caressent les joues et leur parfum se mêle à l’horrible odeur. On traverse ainsi de Gaschney aux pentes ouest de l’Altmatt un beau pâturage que l’on devine et que l’on ne voit pas, enfoncé que l’on est dans un profond boyau. Mais, dès l’Altmatt, tout est mort, herbes, arbres, métairies. Des squelettes d’arbres encore debout font des gestes d’imploration sur des squelettes d’hommes couchés sur la terre grise. Je déjeune avec le lieutenant Passerat dans un trou humide et souterrain à la lueur d’une bougie, vacillante dans l’atmosphère que raréfie notre respiration. De temps à autre une balle claque au parapet de la tranchée, ou bien une grenade à fusil perfide et brutale explose sur un sac à terre. Le silence des hommes règne sur ces lieux maudits, on parle à voix basse. On marche sur la pointe des pieds dans ce corridor humide où l’hygiène répand une odeur de chlore pire cent fois que celle des os secs qui marquent « l’intervalle neutre ». Tous les créneaux sont bouchés sauf celui de la sentinelle, bouchés par une pierre, un sac de terre, une poignée de foin fleuri.* A 50m, la ligne des créneaux ennemis. Entre les deux lignes, des fils de fer, des cadavres aplatis dans leurs capotes trop larges, des fleurs roses de silènes, des trous d’obus. La tranchée ennemie est à la lisière d’un bois détruit : c’est le Bois-Noir, saillant redoutable de la ligne allemande. Du Bois-Noir l’ennemi prend à revers nos tranchées du Kiosque et de la cote 664.

Quelle chaleur dans ces sillons ! Et toutes ces mouches ! On devine trop de quelle nourriture elles sont ivres. Les troupiers, l’œil morne et les lèvres closes, ne pensent à rien, ne désirent rien. Ils sont des images variées du désespoir passif. Ils ne songent même plus à la relève. Qui viendrait les relever ? Les armées sont à Verdun et sur la Somme. Alors, ils vivotent comme des lapins dans leur clapier, ils vivotent sans rien attendre d’autre que la torpille écrasante.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Un Goncourt dans la Grande Guerre, avec comme mot(s)-clef(s) , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>