7-10 juin 1916. Sous la pluie, sous la neige, la guerre en Alsace prend le morne aspect d’un tête-à-tête où l’on n’a plus rien à se dire



7-10 juin 1916.

Sous la pluie, sous la neige, la guerre en Alsace prend le morne aspect d’un tête-à-tête où l’on n’a plus rien à se dire, où la conversation tombe et retombe, et se relève péniblement. Par habitude, sans enthousiasme, on se torpille, on se bombarde. Mais la foi n’y est pas. Et alors la mort apparaît comme un triste et redoutable événement. Le 8, onze de mes chasseurs du 5ème bataillon ont été tués par un obus au Braunkopf : ils s’étaient réfugiés avec un adjudant-chef dans une mauvaise sape pendant le marmitage quotidien de 14h, l’obus à fusée retardée a traversé la voûte de la sape et les a réduits tous les onze en bouillie rouge.

Cependant notre esprit est hors de la tranchée et malgré la prise du fort de Vaux par l’ennemi, malgré la bataille navale indécise du Jutland (ou du Skager Rack), notre espoir reprend une fois de plus son essor : au moment où les Italiens, dans le Trentin, recevaient une raclée qui pouvait les mener jusqu’à Venise, les Russes rentrent magistralement en scène, repoussant les Autrichiens hors de la Volhynie et en huit jours font 100.000 prisonniers. D’où il va résulter une amélioration de la situation des Italiens et peut-être bien de la nôtre devant Verdun.

On s’impatiente de voir les Anglais inactifs pendant tout ce temps-là, les Anglais qui viennent de perdre dans le torpillage du Hampshire leur grand Kitchener. Leur grand quartier général répond au murmure des Français indignés par la note suivante : «….. Le général Sir Douglas Haig a ses plans définis et frappera en son temps et heure. Une bonne stratégie militaire ne doit pas être contrariée par le désir de répondre au sentiment populaire… » Les Anglais récolteront donc les lauriers quand le dernier Français les aura arrosés de la dernière goutte de son sang.

Dans ces conditions, je prends mes dispositions pour la campagne d’hiver. Je me fais construire derrière un solide et haut rocher protecteur une petite cabane en planches intérieures et rondins extérieurs. Les obus venant du Kabler-Wasen ne pourront m’atteindre directement là, sauf par un tir plongeant extrêmement.

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Une réponse à 7-10 juin 1916. Sous la pluie, sous la neige, la guerre en Alsace prend le morne aspect d’un tête-à-tête où l’on n’a plus rien à se dire

  1. pponsard dit :

     » Les Anglais récolteront donc les lauriers quand le dernier Français les aura arrosés de la dernière goute de son sang… »
    Annonce prophétique de la prochaine guerre mondiale dans 24 ans…? lorsqu’une certaine propagande affirmait en juin 40  » Les Anglais se battront jusqu’au dernier Français… »
    Nos alliés British ? trop souvent  » unpredictable » comme on dit de l’autre côté du Channel.

    Visionnaire notre bon Maurice…?

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