1er juin 1916. Ah ! lire cette écoeurante littérature quand passe, en troupeau morne, le 5ème bataillon de chasseurs à pieds.



1er juin

Ah ! lire cette écoeurante littérature quand passe, en troupeau morne, le 5ème bataillon de chasseurs à pieds. Il quitte l’Hartmannswillerkopf pour occuper ici le Braunkopf. Les hommes ont l’œil torve. La lèvre sèche est engluée aux commissures d’un enduit blanchâtre. Le teint est vert. Les joues sont creuses. Le silence règne dans cette file indienne harassée. Le capitaine Danjean que j’oriente vers les tranchées a le même aspect que ses hommes. Jeune, autant qu’il est possible de le voir à travers sa crasse, il a des yeux de fièvre. Et la révolte est dans chacune de ses paroles. Révolte contre le commandement, révolte contre les artilleurs qui lui tuent du monde, révolte contre les politiciens, révolte contre la boue, contre les croix de guerre, contre l’indifférence des civils, contre tout…

Ces chasseurs à pieds viennent relever le 14ème alpins. La 47ème division s’en va. Où ? Elle s’en va sous le nom de « 47ème division d’attaque ». Je ne la suis pas. Je ne veux pas courir les routes de France derrière une ambulance. Si je me remets à les courir je veux que ce soit dans un corps de troupes. Je reste donc en Alsace dans mon petit poste de secours perdu.

La 14ème division remplace la 47ème. Elle reste en réserve et les tranchées sont garnies avec des troupes empruntées aux divisions voisines.

La 14ème division (35ème, 42ème d’infanterie, 60ème, 44ème d’infanterie) arrive de Verdun. C’est dire dans quel état ! J’ai eu la visite de mon nouveau chef, le médecin principal Moingeard. Il est assommé par Verdun. Et pourtant il n’était pas exactement mêlé au combat. Il est silencieux, ahuri, sans mémoire, mal vêtu, mal fichu. On me le dit généralement éveillé, de bon sens et bien tenu. Il n’en paraît rien. Il me rappelle ces officiers supérieurs qui revenaient de Sarrebourg, au début de la guerre.

La guerre prend depuis quelque temps de grandes tournures, d’un tragique inégalé jusqu’à ce jour. Depuis plus de trois mois les masses allemandes se ruent à l’assaut de Verdun. Avec un matériel inférieur et dans le rôle ingrat de la défensive, nous résistons. Quel peuple nous sommes ! Et quelles pages de gloire nous eussions écrites si le progrès, ennemi de la gloire militaire, ne nous avait tenus, ces derniers vingt ans, dans ses charmes amollissants.

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Une réponse à 1er juin 1916. Ah ! lire cette écoeurante littérature quand passe, en troupeau morne, le 5ème bataillon de chasseurs à pieds.

  1. Le moral est au plus bas, on sent venir les comportements de 1917 (refus de monter au front pour des attaques inutiles et meurtrières) -

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