27 mai 1916. Sur le rôle de la grande presse



27 mai 1916.

Pour l’édification de mes descendants sur le rôle de la grande presse dans la guerre actuelle voici ce que je relève dans le journal de la bourgeoisie, l’Echo de Paris, à trois jours d’intervalle :

24 mai –Douaumont est repris-

Dans un élan magnifique nos troupes ont repris le fort de Douaumont… Les Allemands n’ont pas osé avouer ce coup de Trafalgar… Cependant à travers leurs réticences torturées, leur échec se lit : « Au sud du village et au sud de ce qui fut le fort de Douaumont, qui d’ailleurs est resté entre nos mains, le combat est encore en cours. » Alors, s’exclame le signataire de l’article, ce qui était  « la pierre angulaire de la principale forteresse de Verdun », c’est-à-dire, « le fort cuirassé de Douaumont », lorsque les Allemands y sont entrés, n’est plus rien qu’une expression géographique, quand les Français y pénètrent ! L’aveu est clair.

25 mai –Furieuses attaques de deux divisions bavaroises sur les ruines du Fort de Douaumont-

Il fallait s’attendre également à une réaction puissante des armées du Kronprinz pour chercher, coûte que coûte, à rentrer en possession de ce qui, selon leur expression, fut le fort Douaumont… L’ennemi en essuyant des pertes effroyables a réussi à rentrer en possession du fort en ruines mais nos vaillants l’ont, une fois de plus, empêché de déboucher.

Marcel Hutin

Et tous les Marcel Hutin de toute la presse de se jeter ce matin avidement sur le mot heureux du communiqué allemand. Hier nous avons pris le fort de Douaumont ; aujourd’hui nous avons perdu ce qui fut le fort de Douaumont.

Quand c’est nous qui prenons le fort nos pertes sont légères, on doute même qu’il y ait eu des blessés… Quand ce sont les Allemands qui le prennent, c’est en essuyant des « pertes effroyables ».

Le journaliste a toujours flatté l’appétit sanguinaire du public. Depuis que l’ennemi subit des pertes « inouïes, colossales, insensées, formidables » on s’étonne qu’il reste un soldat dans l’armée allemande. Après chacun de nos échecs il y a toujours un télégramme d’Amsterdam à l’Agence Central News « mandant que 39 trains chargés de blessés allemands venant de la région de Verdun ont traversé hier la ville de Luxembourg ».

Je relève également cette étrange aberration de la Presse qui veut que nous allions avec joie, ivresse et impatience à l’assaut. Il s’agit généralement d’un blessé interviewé dans une gare d’évacuation, la gare de M….

« Comme ils sont gais nos blessés et fiers de leur triomphe ! … Un petit sergent tout jeune se fait remarquer par son entrain… Pendant le court arrêt je le questionne. Il répond avec bonne grâce. Son premier mot part droit du cœur : « Comme c’était beau ! » Puis après une pause, doucement, il reprend : « Nous étions au repos depuis une quinzaine, impatients de reprendre notre place en première ligne… »

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2 réponses à 27 mai 1916. Sur le rôle de la grande presse

  1. pponsard dit :

    l’éternel  » bourrage de crânes » constamment dénoncé tout le temps du conflit par les combattants en lignes, mais qui satisfaisait un public bourgeois ou autre, bien à l’abri des balles et des marmitages meurtriers…

  2. Ce journaliste aurait dû faire un reportage en direct dans les tranchées.

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