22 au 24 avril 1916. La neige ? Elle continue de tomber



22 au 24 avril 1916.

Et la neige, me direz-vous ?… La neige ? Elle continue de tomber. […]

Alors que faire, sinon de se plonger dans les auteurs faciles édités à 0,95 francs avec des images ?

-10h matin-

Soudain !

« Quelle est cette bande d’or qui écharpe la blancheur de la neige ? –Mais c’est du soleil.- Pas possible ! Du soleil ? Vous voulez rire.- Je vous assure. Regardez, il y a un trou bleu dans le ciel, juste au-dessus de Sillacker.- C’est, ma foi, vrai ! Comment, c’est comme ça le soleil ?… »

Et, en effet, aujourd’hui après une absence démesurément longue, le soleil est revenu. Oh !timidement. Par petites taches, une ici, une là. En voici une sur mon cahier. Je m’incline et je l’adore.*

Rendu, par ce premier soleil, impatient de printemps, je descends le chercher dans la vallée de la Fecht. Car d’ici c’est vers la ligne de feu qu’on a le plus de chances de le rencontrer. Metzeral était jadis un nid de toits rouges construit dans un verger. Aujourd’hui quelques cerisiers subsistent, ou plutôt quelques branches de quelques cerisiers. Et la vue de ces petits bouquets blancs me réjouit quand même jusqu’à l’âme. Je ne monterai pas à l’arbre les cueillir. Je laisse aux chasseurs qui cueillent le pissenlit dans les prés le soin de se faire marmiter par du 130 sournois. Je vais seulement jusqu’au village de Mittlach entre deux haies artificielles de sapins desséchés. Le spectacle me retient toujours de ce joli village situé entre les batteries de 75 et la tranchée, et dont on garde les habitants comme autant de précieuses égides. Ils sont, disons-le sans hypocrisie, franchement allemands, nos frères Mittlachiens d’Alsace. Pourquoi mâcher les mots ? Ce fond de vallée n’a jamais subi les influences françaises. On y est allemand et le « Franzose » y est l’ennemi que l’on subit. J’ai là une image de nos villages envahis de l’Oise ou de l’Aisne : des troupes joyeuses, des habitants passifs. Ce village est une égide : timidement, très timidement, l’ennemi (qui est à 4kms de là) envoie dans les prairies et quelquefois, par erreur, sur un toit, des obus de calibre modeste. Le jour où le village eût été évacué il eût subi le sort de tous les villages de la ligne. Preuve manifeste du « bochisme » des Mittlachiens. Peu importent, d’ailleurs, leurs sentiments. Leur pays est la séduction même : après les améliorations et les embellissements que les Allemands y ont apportés depuis quarante ans, il sera tout à fait agréable pour les Français de venir s’y promener en propriétaires. Je parle d’embellissements : je rougis d’être Français quand je vois le goût qui présida à la construction et à la décoration des monuments publics en Alsace depuis l’occupation allemande : « Quel est ce magnifique chalet que j’aperçois là-bas ? – C’est l’école. » L’école ! Un vaste et clair chalet dans les traditions alsaciennes, avec un toit rouge aussi élevé que les deux étages de la maison réunis. A l’intérieur, de belles salles vastes et claires, décorées au pochoir, chacune ayant sa physionomie, des pupitres roses et des bancs jaune pâle (ah !nos pupitres noirs !), de larges baies ouvrant sur des horizons choisis… Une ambulance alpine s’y est installée. Ma pensée se reporte à ces tristes petites écoles de la vallée de la Moselotte, de l’autre côté de la montagne… Qu’en dire ? Vous les connaissez : des petits bagnes aux salles poussiéreuses, ornées de cartes jaunies et de pupitres noirs…

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