22 mars 1916. Neuf Norvégiens, dont Per Krhog et Halvorsen, font la relève des blessés entre le Grand-Reichackerkopf et Gaschney



22 mars 1916.

Neuf Norvégiens, dont Per Krhog et Halvorsen, font la relève des blessés entre le Grand-Reichackerkopf et Gaschney, sur la ligne de feu. Je suis descendu déjeuner avec eux. A l’heure où j’arrive à leur baraque, dissimulée sous les sapins plus ou moins brisés du Gaschney-Kopf, des obus viennent de tomber ici et là, aux alentours. J’aperçois Peters fort occupé à piocher dans un entonnoir pour en extraire une fusée. La baraque, elle-même, en planches minces et papier goudronné, reçoit chaque nuit son petit arrosage de shrapnells. Mes amis sont dans l’enchantement. Il n’y a plus de neige, aussi font-ils le métier pénible et fastidieux de brancardiers, allant, la nuit, quérir sur des brouettes-brancards les blessés du Reichacker.

Je trouve dans cet étroit et sombre gourbi une atmosphère de gaieté et de bœuf à l’ail tout à fait agréable. Nous mangeons dans d’atroces couvercles de boutéhons1 je ne sais quel mélange de barbaque (viande) et de macaroni, mais qu’importe, notre esprit se nourrit de la minute présente, riche des plus curieux contrastes. Un vin affreux voisine sur la table (quelle table ! quel enduit de graisse en guise de nappe !) avec du « Canadian Club ». Accompagnée du bruit infernal d’une batterie de 75 voisine, une véhémente discussion s’élève sur l’esthétique de cette maison du boulevard Raspail, dite « maison de l’Acacia », construite par Peters, tandis que couché sur la paille, où il « sauce » au fond d’une cuvette le restant du jus de la viande, le grand Barker fredonne une chanson nègre. Et quand nous sortons, pour prendre l’air, le parfum de nos cigarettes égyptiennes (don de la reine Alexandra) se mêle à l’odeur nauséeuse des cadavres. Et dans cette ambiance de rêve et de réalité qui irrite nos sensibilités, la vie nous paraît bien belle.

1

Cuisine ambulante composée de très grands récipients surmontés de couvercles.

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