16 mars 1916. A neuf heures, ce matin, le bombardement reprend.



16 mars 1916.

A neuf heures, ce matin, le bombardement reprend. Je vais à mon poste de secours de l’hôtel Français, où je me tiens toujours pendant les bombardements en cas de catastrophe. Les marmites ont une affection particulière pour ce pauvre hôtel Français, centre de leurs chutes. Je trouve au corps de garde, (dans l’ancienne cave aux vins fins) quatre prisonniers allemands, pris à Stosswihr, et réfugiés là avec leur escorte. Pendant que pleuvent les marmites la conversation s’engage : l’un d’eux, brigadier de uhlans, étudiant en chimie parle français. C’est un grand garçon, très jeune, le visage joli et fin, aux yeux intelligents. Je lui fais lire un article du Matin où l’on donne des chiffres sur les pertes allemandes devant Verdun. Il lit, hoche la tête et ses yeux s’emplissent de larmes. Son opinion est que ni les Français ni les Allemands ne doivent songer à percer le front. Nous parlons de mille choses, de la popularité intacte de l’Empereur, de la popularité décroissante, mais encore considérable du Kronprinz…

Le bombardement a l’air de se calmer. Nous quittons notre souterrain pour photographier les prisonniers. Ils se rangent. Autour d’eux nous prenons des poses avantageuses. Trois appareils sont braqués sur le groupe… quand, formidable, sans crier gare, une marmite de 150 arrive, percute sur le toit d’un bâtiment voisin et parmi la fumée, la poussière, les éclats qui sifflent, c’est un sauf-qui-peut instantané, une ruée vers la porte de la cave où Boches et Français se poussant, se bousculant, se piétinant, s’engouffrent en une seconde.*

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Jamais je n’ai vu sous les obus un spectacle aussi comique. Un homme qui crânait dans le groupe, devant les objectifs, est resté, sidéré, au milieu de la place et nous le voyons se traîner vers nous à quatre pattes en claquant des dents… Hélas ! tout n’est pas comique dans l’aventure : la marmite a tué un homme du 39ème d’infanterie et en a blessé cinq, qui, par-dessus le toit du bâtiment frappé, nous regardaient faire de la photographie. Nous tirons le cadavre pantelant, qui sent le sang chaud et la poudre, sous un hangar et, accroupi dans la boue de neige fondue, je panse les blessés dont un a le crâne défoncé au niveau de l’artère temporale qui lance par saccades un long et fin jet rouge. Les autres ont des trous dans les bras et dans les jambes. J’ai gardé la fusée de l’obus mélodramatique. C’est la première que je prends la peine de ramasser : elle évoquera pour moi un tableau caractéristique de cette guerre.

Aujourd’hui il n’est tombé qu’une douzaine d’obus. Deux sont venus au-dessus de notre cantonnement, probablement à la recherche des pièces de 120.

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