2 février 1916. Que les nuits sont belles illuminées par les fusées !



2 février 1916.

Que les nuits sont belles illuminées par les fusées ! Il semble que chaque soir une troupe d’habiles artificiers nous donne un spectacle sur la scène du Reichackerkopf. De la terrasse de la Schlucht nous voyons s’élever vers le ciel étoilé puis gracieusement s’incliner vers le sol obscur les furtives comètes des fusées lumineuses. Sommes-nous donc à quelque fête galante ? et sont-ce les Parisiens, marmités par les zeppelins, qui se trouvent au front ? Vraiment l’heure est charmante des fusées et des étoiles, par les beaux soirs d’hiver de l’Alsace. Etonnez-vous après cela que notre moral soit bon, notre moral soigneusement arrosé de Mercurey ! Qu’importe la Folle et ses grossières interjections ! Dans notre cave, nous faisons fi de sa brutalité et non point des excellents fruits confits reçus ce matin d’Aix. Il faut qu’on sache quelle était notre vie sur le front, pendant les périodes que les états-majors qualifient outrageusement de « périodes de stagnation ». Oh ! l’horrible mot ! Bien au contraire de la croupitude c’est durant ces périodes-là que nous connaissons l’envol de l’esprit, libéré de la contrainte où le retient « la peur des coups ». Il faut qu’on sache que, quoique au fond d’une cave, nous n’en vivions pas moins dans une atmosphère qui me rappelle singulièrement celle des salles de garde. Cela tient principalement à ce que nous vivons en garçons et qu’un groupement d’hommes libérés des soucis de la vie quotidienne est fortement enclin à ne connaître d’autres soucis que ceux qu’il veut bien se forger lui-même à propos d’une crème-renversée manquée ou d’une bouteille de Bordeaux mal chambrée. Tout groupement de ce genre nivelle les âges. Ce soir la conversation générale roulait sur les charmes très particuliers, et goûtés de quelques rares amateurs, de la banlieue parisienne. Il se trouvait qu’un de ces amateurs –dont je suis- fût notre doyen, le commandant Florence, de sa profession principal clerc de mon cousin le notaire Maurice Demanche. Croiriez-vous que la soirée s’est passée, dans cette cave, où trottinent sous nos pieds d’innombrables souris, à évoquer les bals-musettes de l’Ile-d’Amour et les guinguettes du Bas-Meudon ? Que nous importait la Folle et son chant de mort ? Nous étions sur la Marne, auprès de Charentonneau et non point au sous-sol d’une villa en ruines.

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Une réponse à 2 février 1916. Que les nuits sont belles illuminées par les fusées !

  1. pponsard dit :

    il s’agit plus du charme des bords de Marne que de la sinistre banlieue parisienne proprement dite…Et puis le Mercurey doit rendre ces assemblées de  » fonds de caves » légèrement euphorique, selon l’amplitude de la consommation…

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