30 novembre 1915. Arrosage du Bois-Noir par un temps abominable de tempête



30 novembre 1915.

Image219

Arrosage du Bois-Noir par un temps abominable de tempête, de brouillard et de neige fondue. A 13h juste, toutes les batteries du secteur entrent en jeu. Par cette neige qui calfeutre les vallées sonores on dirait la pétarade d’un inoffensif feu d’artifice. Notre batterie envoie, pour son compte, cent-cinquante obus allongés. Pour moi qui étais habitué à être aux premières loges de ces drames de la tranchée, le spectacle est nouveau de voir ces hommes qui la pipe à la bouche, la farce aux lèvres, placent tranquillement leur obus et leur gargousse1 dans le canon, tirent posément leur coup à la minute sans rien savoir et sans rien voir du but qu’ils atteignent. On leur a donné des chiffres, on leur a commandé un obus à la minute et par pièce et ils accomplissent leur besogne, l’esprit ailleurs, l’âme indifférente. Et tout là-bas à cinq ou six kilomètres, derrière le Hohneck, leur geste déchaîne la panique, jette les ennemis terrifiés dans leurs mauvais trous de terre, coupe des bras, des jambes, tranche des carotides, ouvre des ventres… Trois mille obus arrivent ainsi en deux heures sur ce mouchoir de poche appelé le Bois-Noir. Impossible de nous rendre au poste d’observation du Braunkopf. Dans le brouillard et dans la tempête le Hohneck est infranchissable. Deux chasseurs y sont morts avant-hier, ensevelis dans la neige, tués par le froid. Parguey qui tente le passage, revient au bout de deux heures, épuisé, après avoir tourné pendant tout ce temps autour de la montagne traîtresse.

Nous avons eu le général de Berckheim à déjeuner. Il a l’esprit brillant de l’ancien attaché militaire qu’il a été pendant si longtemps. Il nous prédit une guerre très longue. Il résume nos opérations jusqu’à ce jour par quatre grandes fautes impardonnables : 1° Ne pas avoir pris Constantinople dès le début de la guerre. 2° Ne pas avoir donné à la Roumanie la Bessarabie ancienne province roumaine. 3° Avoir laissé la Russie proclamer sa main-mise sur Constantinople en cas de victoire. 4° Avoir empêché la Serbie d’attaquer la Bulgarie après ses premières victoires sur les Autrichiens. Et voilà pourquoi nous sommes à Schmargult, un général et quatre officiers, autour d’une choucroute très bien garnie, le 30 novembre 1915 !…

1

Charge de poudre destinée à la propulsion de l’obus.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Non classé, Un Goncourt dans la Grande Guerre, avec comme mot(s)-clef(s) , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à 30 novembre 1915. Arrosage du Bois-Noir par un temps abominable de tempête

  1. Il me semble que le système de « gargousses » n’était utilisé qu’avec de l’artillerie de très gros calibre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>