18 octobre 1915. J’ai retrouvé cet après-midi mon charmant camarade du 170, le lieutenant Brunet



18 octobre 1915. Schmargult

J’ai retrouvé cet après-midi mon charmant camarade du 170, le lieutenant Brunet, blessé à Notre-Dame-de-Lorette en juin et qui avait partagé mon existence sous les obus de la Tranchée de Calonne. Ah ! comme l’impression qu’il m’a causée est différente de celle ressentie auprès de Téchenay !… Brunet, élégant, homme du monde, indifférent à la mort quoique souriant à la vie, personnifie à mes yeux « ceux qui se font tuer ».

Hélas ! Les nouvelles qu’il apporte d’Epinal sont sinistres. Mon malheureux ancien bataillon, le 2ème, s’est fait anéantir devant la ferme Navarin. C’a été l’exécution en masse, une fois de plus…  « Toujours les mêmes qui se font tuer ». Cette scie grince en moi après chacune des interventions de mon pauvre régiment. D’après Brunet, d’après d’autres, mon cher Boulanger, retourné au feu avec une main impotente, Boby, Le Folcalvez, Marchand seraient portés disparus ?… Leurs cantines sont arrivées au dépôt. Ah ! ces caisses noires, arrivant toutes bêtes, comme des enfants perdus, garnies de linge, d’objets de toilette, de lettres… Je vois le vague anonyme chargé de la réception de ces bagages sans maîtres : « Collez-moi ça dans un coin… On préviendra la famille…» La famille ! Il n’y a plus de douleurs, d’angoisses que pour elle… Le reste de la nation s’ennuie, va au théâtre, aux pièces de Sacha Guitry, attend impatiemment l’Illustration du samedi et ses images, voit baisser de plus en plus le cours des valeurs, cherche « ce qu’on pourra bien faire cet hiver pour se distraire.» Et, vous savez, il y en a des centaines et des milliers de familles qui n’ont point de parent ou d’ami cher au feu, des centaines et des milliers…

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