11-16 octobre 1915 : On ne voit que trous d’obus, débrits de sacs, des fusils brisés et des cadavres



Le mardi 12 octobre 1915
Bombardement de minenwerfer toute la matinée. Le capitaine Raynaud et le sous-lieutenant Maisonneuve, (6ème compagnie) et plusieurs hommes sont tués. Canonnade française et allemande. La nuit, posé des fils barbelés en avant, creusé les petits postes et la tranchée. Le soldat Georges est blessé. Temps nuageux et humide.

Mardi 12 octobre 1915 – 17 heures

Mon cher père,

Je me trouve en ce moment à écrire tous les jours à l’un ou l’autre des membres de la famille pour que vous ne soyiez pas inquiets plusieurs jours sur mon sort. Il ne faudrait toutefois pas vous inquiéter si je restais plusieurs jours sans vous écrire, car les circonstances peuvent m’empêcher d’écrire sans que pour cela je sois en mauvaise santé.

Je suis toujours dans les tranchées, c’est le troisième jour, je ne sais pas combien nous y serons longtemps, ni par quel régiment nous serons relevés. Depuis hier soir il tombe une petite pluie par intervalles, avec des moments de beau temps.

Il y a toujours canonnade violente de chaque côté mais sans attaque d’infanterie jusqu’à présent. Dans la plaine où je me trouve, sur toute la surface de la ligne de feu, aussi loin qu’on peut apercevoir, on ne voit que des tranchées et boyaux coupant des terrains restés incultes. C’est une vraie dévastation, si vous en voyiez autant dans la plaine qui s’étend de St-Patrice à Varennes, vous en seriez désolé, et il y aurait de quoi, je vous assure. On ne voit partout que trous d’obus, débris de sacs, d’équipements, des fusils brisés, et aussi des cadavres. C’est un spectacle lamentable. La nuit quand on voit ce tableau à la lueur des fusées éclairantes, c’est encore pire.

Notre corvée de soupe part le soir à 5 h et rentre à minuit, elle apporte de la nourriture, et de l’eau et du vin pour la journée entière. Nous mangeons toujours froid. Nous étions bien mieux en forêt d’Argonne. Je me porte bien malgré toutes ces misères. Je vous envoie encore quelques cartes que je viens de recevoir et que [vous] mettrez avec les précédentes.

Mon cher père, je vous embrasse tendrement et vous exprime toute mon affection filiale. – Votre fils ‑ H. Moisy

Je suis maintenant dans le secteur postal 126.
Le mercredi 13 octobre 1915
Violente canonnade des deux côtés à 2 h et à 9 h. Aménagé la tranchée, creusé les P[etits] P[ostes], posé des fils de fer, commencé des sapes-abris pour bombardement. Les sections de réserve commencent à creuser une tranchée parados. Violente canonnade à gauche à 23 h. Beau temps. Brouillard.
Mercredi 13 octobre 1915

Ma chère Eugénie,

Ma période de tranchée se continue normalement et avec la monotonie habituelle. La nuit, nous creusons des tranchées, nous posons des fils de fer barbelés en avant, entre notre ligne et la ligne ennemie qui est à 60 ou 80 mètres. En posant ces fils, nous sommes surpris assez souvent par des fusées éclairantes et il nous faut immédiatement nous coucher à plat ventre dans l’herbe pour ne pas être vu, que ce soit à n’importe quel endroit, il faut immédiatement disparaître. Comme il y a quelques cadavres en avant et que nous posons nos fils à proximité d’eux, il m’est arrivé d’être obligé de me coucher à côté de l’un d’eux, et même, en pleine nuit noire, on bute dedans. C’est plutôt sinistre.

Il y a eu cette nuit une violente canonnade des deux côtés. C’était à ne pas dormir. On ne bombardait pas les tranchées, mais les arrières des lignes.

Je me porte bien. Nous ne mangeons pas bien en ce moment.

Comme je t’écris tous les jours, je n’ai pas grand-chose de nouveau à raconter d’un jour à l’autre.

Sentiments affectueux. ‑ Ton frère – H. Moisy

J’ai reçu ce matin une lettre de Madame Bindé.
Le jeudi 14 octobre 1915
Brouillard épais le matin. Violente canonnade des deux côtés. Alerte à 17 h. Ravitaillement toujours difficile par Boyau Kolossal. A 20 h nous creusons des fosses en avant pour sept cadavres qui sont sur le terrain. Les brancardiers les ont enterrés.
CARTE POSTALE : Recto : « La guerre 1914-15 L. C. H. Paris

306. Les ruines de Clermont-en-Argonne

The ruins of Clermont-en-Argonne »

Champagne, 14 octobre 1915 – H. Moisy

Verso : Adresse : Monsieur Marc Moisy Ragot

Propriétaire au Sablon

Bourgueil

Indre & Loire

:

X (Marne), le jeudi 14 octobre 1915
Mon cher père

En ce jour anniversaire de vos soixante et onze ans, je vous adresse tous mes vœux de bonne santé et vous renouvelle l’assurance de mes sentiments respectueux, affectueux et dévoués. – Je vous embrasse tendrement.

Votre fils qui pense toujours à vous. – H. Moisy
Le vendredi 15 octobre 1915
Violente canonnade française à 2 h sur un ravitaillement ennemi. Bombardement de la 1ère ligne ennemie par notre 75. Creusé P[etits] P[ostes] et boyaux. Posé des fils de fer. Un aéroplane allemand a été abattu à 800 m à gauche par un obus de 75 et je l’ai vu tomber en feuille morte. Temps sec et froid.
Le samedi 16 octobre 1915
Alerte et fusillade à 2 h. Bombardement de 75. J’ai reçu un éclat d’obus sur l’épaule droite qui ne m’a pas blessé. Bombardement de minenwerfer de 10 à 11 h vers la 6ème compagnie. Très beau temps.

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