18 – 20 avril 1915 : après la guerre, j’aurai de quoi répondre à ceux qui nous diront que nous n’avancions pas en Argonne



Le dimanche 18 avril 1915
A 6 h changement des sections. Je reviens en 2ème ligne et nous pouvons nous reposer tout le jour. La journée est calme. Le sergent Vénier a été faire une patrouille la nuit en avant des premières lignes. Vu aéros et Taubes.

Clermont-en-Argonne en 1915 (Bibliothèque nationale de France)

Clermont-en-Argonne en 1915 (Bibliothèque nationale de France)


Le lundi 19 avril 1915
En deuxième ligne. Nous avons repos toute la journée. Le temps est très beau. Le soldat Charrier, 2ème section, est blessé.
Le mardi 20 avril 1915
Nouis quittons à 4 h les tranchées de la Haute-Chevauchée et nous venons au repos aux baraquements Monhoven, près de la Croix-de-Pierre, toujours en Forêt d’Argonne, à 4 km du Claon. Il y a à côté du camp des bains-douches, des lavabos et un lavoir, et dès le premier jour je me sers de ces trois choses. Je prends un bain, je fais ma toilette et je lave du linge. Nous sommes mieux et plus proprement logés dans ces baraquements que dans n’importe quel village, mais il est difficile d’acheter des provisions. Il est interdit d’aller aux villages voisins. Quelques uns y vont quand même et rapportent du vin.
Le mardi 20 avril 1915 – 16 heures
Chère Eugénie,
J’ai reçu le 18 ta lettre datée du 14 avril. Tu vois que les correspondances vont bien. Tu me souhaites le beau temps ; il ne peut pas être plus beau qu’il ne l’est depuis une dizaine de jours, tous les jours le temps est clair et il fait une température douce. Nous serions très heureux s’il n’y avait pas les balles et les obus à discrétion.

Je te remercie de m’envoyer les nouvelles des morts et des blessés de Bourgueil, ça ne m’épouvante pas car j’ai bien souvent des spectacles effrayants à voir, auprès desquels ce que tu peux imaginer n’est rien. Je ne sais si l’on a le pressentiment de ce qui doit nous arriver, pour moi j’espère toujours que je ferai toute la campagne sans être touché. Avec une telle idée, je suis toujours confiant et content.

Dans toutes les lettres que je reçois, ainsi que dans celles que reçoivent les camarades, on demande toujours l’arrivée du vrai beau temps pour que les opérations aillent plus vite. Il est certain que le beau temps facilitera le déplacement des troupes et du matériel, mais ce qui fera avancer, ce sera le sacrifice de vies humaines que l’on sera obligé de faire. Quel que soit le temps qu’il fasse, il faudra un grand sacrifice pour démarrer et je crois que ce sera terrible. Exemple : la victoire des Eparges.

En face de nous, il est presque impossible d’avancer. Il ne suffit pas de dire : ça ne va pas vite, il faut voir de quoi il s’agit avant de parler. Après la guerre, j’aurai de quoi répondre ceux qui nous diront que nous n’avancions pas en Argonne. Ceux-là n’ont qu’à y venir, et ils verront que ce ne sont pas des enfants qui sont en face de nous et que nos adversaires sont passés maîtres dans l’art de se défendre.

Tout difficile qu’il soit d’avancer, nous y arriverons peut-être, mais  combien de  compagnies, de bataillons et peut-être de régiments y passeraient avant que l’on puisse percer les lignes. Il y a 15 jours, le 113ème a attaqué et a eu 600 hommes hors de combat et tout cela sans résultat, et pourtant plus de 5000 obus avaient été tirés en trois jours sur les tranchées allemandes. Tu vois ce qu’il en coûte d’essayer à avancer. Il en est de même pour les Allemands, il leur est impossible d’avancer également. Espérons quand même que le généralissime saura trouver le point le plus faible du mur allemand pour tenter l’effort décisif, autrement nous pourrions y rester plusieurs années.

Jeunes et vieux, valides et infirmes, je crois que tout le monde aura goûté à la guerre, il en est de 42 ans qui sont sur le front, il y a vraiment besoin de tout le monde et chacun aura sa tâche.

Je me porte mieux que jamais, j’ai souhaité le bonjour à Auguste de ta part. Depuis que j’ai été nommé sergent, je ne suis plus aussi près de lui, car j’ai été changé de section. Je le vois tous les jours quand même.

J’excuse Georges de ne m’avoir pas écrit, peut-être n’a-t-il pas le temps.

Nous sommes en ce moment au repos à 6 km en arrière, dans des baraquements en bois construits exprès. Nous sommes en pleine forêt au milieu d’arbres de 25 mètres de hauteur, il y a une belle source à 600 m et des douches installées auprès. Nous sommes mieux que dans n’importe quel village. Bonjour à Papa, je lui écrirai ces jours-ci. ‑ Reçois, ma chère Eugénie, l’expression de mon amitié fraternelle. ‑ H. Moisy

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Une réponse à 18 – 20 avril 1915 : après la guerre, j’aurai de quoi répondre à ceux qui nous diront que nous n’avancions pas en Argonne

  1. P.Ponsard dit :

    une lettre qui met seulement 4 jours en temps de guerre, avec des millions de mobilisés sur toute la ligne de front, pour aller de Bourgueil au SP d’Henri Moisy, , on ne ferait sans doute pas mieux en 2015 !

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