16 mars 1915. Je reviens à Mesnil. Rien de changé.



16 mars 1915. Mesnil les Hurlus

Je reviens à Mesnil. Rien de changé. C’est effrayant. Cadavres, cadavres. Blessés. Obus. Puanteur.

Nous mangeons des pommes de terre à la sauce sanglante. Il faut bien le dire, nous devenons des brutes. Pas mal de fous défilent, les yeux hagards, la main cramponnée au fusil. Le 75 donne à fendre la tête.

Les brancardiers tombent comme des mouches. Dans deux jours nous n’en aurons plus un. Les Marocains, les Algériens, les zouaves tombent, tombent. Les obus aussi, sur nous, sur eux. Nous enterrons le capitaine Bachellerie en sanglotant pendant que les obus couvrent la voix de l’aumônier Dubourg. Un trou en terre, et le beau Bachellerie, pâle, superbe d’avoir enlevé hier 600m de tranchées est descendu dans le trou.

On en est gris de tant de bruit, de tant de sang, de tant de mépris de la mort.

Comment tient-elle notre baraque, la seule à peu près debout sur ces ruines ?

Les blessés, en arrivant, qu’ils soient légers ou à l’agonie, n’ont dans la bouche que : « Oh ! les salops ! Oh ! les vaches ! Ah ! les cochons ! » Costil dit : « Ils sont vaches, les cochons ! » Et il pleure parce qu’ils ont tué son capitaine et son lieutenant. «  Mon frère doit être tué, nom de Dieu ! On en aurait foutu bas des lièvres si on en était revenus. Les lièvres on les voyait à droite par quatre dans les champs. »

Notre bataillon attaque. Ouragan de fer. A 5h le fortin de la cote 196 est pris par Roederer. Nous tenons toute la crête, nous poursuivons sur la pente opposée, malgré les 75 qui tapent sur nous. Les premiers blessés arrivent très excités par leurs succès. Ils racontent comment depuis 3h de l’après-midi ils volent de tranchée en tranchée, tuant, ne faisant aucun quartier. Chacun revient porteur d’un casque ou d’un fusil, ou de tel objet d’équipement allemand.

A la nuit tombante le flot des blessés se presse à la porte du poste de secours. Des blessures horribles, des mentons arrachés, des membres sectionnés, des mains hachées. Simart extrait du dos d’un blessé une fusée entière de 77, de la mâchoire d’un autre un éclat gros comme une tabatière…

Le capitaine Gresser titubant, balbutiant, une pioche à la main arrive soutenu par un homme : un obus l’a envoyé à 2m en l’air, il délire : « Ah ! mais non, ne me prenez pas ma pioche… Je veux ma pioche !…» Il pleure « Ma compagnie recule…» Et il gémit atrocement. Il n’est pas blessé.

Le lieutenant Vilmure une blessure légère à la gorge, nous conte la prise du fortin, ouvrage en terre et en acier armé de mitrailleuses qui nous tenaient en échec depuis de longs jours.

A la lueur des fusées on voit descendre de la colline conquise le flot lent des blessés. Ils sont innombrables, les Marocains, les zouaves, les fantassins sont mêlés. Les yeux allumés, la parole saccadée ils sont encore tout tremblants d’enthousiasme.

On amène le lieutenant Charmeux sur un brancard. Une balle dans la poitrine, il râle. Il va mourir. Ah !ces visages, hier charmants, aujourd’hui maculés de boue et de sang. Je ne reconnais pas mes amis sous ce masque tragique.

Neumeyer a le dos labouré d’un éclat d’obus. Aplati sur son brancard, mêlé à la foule des blessés, il attend dans la nuit froide son tour de pansement.

Sur le sol du poste de secours c’est un tapis de linges, d’uniformes, gluants de sang d’où se dégage une odeur fade, qui serre la gorge. Les obus tombent. La nuit passe. Le Dr Fournereaux et Simart sont merveilleux de résistance. Comment peuvent-ils résister !!! Ils se nourrissent de café –et quel café !- et ne dorment pas.

Jusqu’à 5h du matin les blessés arrivent.*

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3 réponses à 16 mars 1915. Je reviens à Mesnil. Rien de changé.

    • PPonsard dit :

      et pendant ce temps-là, le père Joffre dîne tranquillement et de bon appétit à Chantilly, dans villa proche du GQG, avec quelques officiers de son entourage..( potage aux légumes, rôti de veau aux petits pois, salade verte, fromages, savarin au Kirsch, le tout arrosés d’un vieux Bordeaux, et d’une « tisane » de Champagne…)
      Puis il ira se coucher de bonne heure, comme à l’accoutumée, et il ne fera pas bon de le réveiller avant demain matin, sauf pour de gravissimes raisons…
      Cela arrive parfois, alors le chef d’Etat-Major général tambourine à sa porte un bon moment, Joffre se lève en pyjama et en bougonnant, donne la signature demandée et se recouche immédiatement…

  1. Ping : 16 March 1915 – Champagne | The Great War Blog

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