12 février 1915 : panade au bouillon gras, rhum, vin et repos au Claon



Le vendredi 12 février 1915
Nous avons repos toute la journée. Je vais au village de Florent faire quelques achats. C’est un pays situé à 2 km du Claon et qui est bien mieux approvisionné. Il tombe de la neige une partie de la journée.


Le Claon (Meuse) le vendredi douze février 1915
Mon cher père,

J’ai reçu mercredi une lettre de Clément par laquelle il m’apprend son départ pour aujourd’hui 12 février pour Châteauroux. Ca va faire un grand vide dans la famille et vous allez rester seul pour vous occuper du taillage des vignes. Vous en aurez certainement plus que vous ne pourrez en faire, enfin vous ferez ce que vous pourrez.

Depuis le dernier repos que nous avons eu aux Islettes du 28 janvier au 4 février, nous sommes retournés six jours dans les tranchées jusqu’au 9 février et depuis ce temps-là nous sommes au repos au Claon. Nous ne sommes pas très bien cette fois-ci, parce que Le Claon est un tout petit village où l’on ne peut rien se procurer. De plus, nous sommes mal cantonnés dans un grenier malpropre, entassés les uns sur les autres et encore il faut cent hommes de corvée tous les jours par compagnie pour aller faire des tranchées à 7 km du cantonnement, comme vous voyez ce n’est pas un bon repos, enfin on s’en contente, heureux déjà d’être à l’abri de la mitraille.

Nous sommes assez bien nourris en ce moment et nos cuisiniers nous font de la bonne cuisine. Je vous recommande en passant une bonne cuisine que vous pourrez essayer. C’est la panade au bouillon gras. C’est une soupe délicieuse que nous mangeons tous les jours, on ne s’en lasse pas, vous essaierez et vous m’en donnerez des nouvelles. Ca se fait comme une panade ordinaire, seulement avec du bouillon à la place de l’eau.

Nous avons tous les matins du rhum ou de l’eau-de-vie et tous les jours un quart de vin, et du pain suffisamment. La viande, le café et le sucre ont été un peu diminués. Il y a une grande différence comme nourriture avec le mois d’août, à ce moment là nous mangions de la viande crue et quelquefois pas du tout. Aujourd’hui c’est régulier, nous ne manquons jamais un repas, c’est ce qui nous permet de résister aux fatigues et c’est ce qui fait que je me porte toujours bien. Nous ne faisons pas beaucoup de chemin et nous ne fatiguons pas de la marche, nous souffrons surtout de la température.

La température est assez changeante, un jour il fait un temps de printemps et le lendemain il tombe de la neige, par exemple aujourd’hui il est tombé de la neige presque toute la journée mais comme la terre n’était pas gelée elle est fondue à mesure.

Il y a beaucoup de troupes d’arrivées dans la région depuis quelque temps, tous les villages en sont remplis et il en arrive tous les jours. Il se prépare sans doute de grandes choses en ce moment. Il serait à souhaiter que tous ces préparatifs aboutissent à quelque chose et d’ici peu de temps.

— Le samedi 13 février — 11 heures.—
Aujourd’hui samedi le temps est très mauvais, pluvieux et froid, mais je peux rester à l’abri toute la journée. Quand nous sommes au repos nous plaignons ceux qui sont dans les tranchées.

Comme je n’avais rien à faire ce matin j’ai passé quelque temps dans l’église du Claon et j’ai récité un chapelet pour toute la famille. J’ai pensé spécialement à vous au pied de la croix.

Je suis privé de ma montre depuis trois semaines, elle était tombée par terre un jour et le verre s’était cassé et depuis ce temps-là elle était enveloppée dans un mouchoir. Aujourd’hui il y a une corvée de la compagnie qui est partie à Sainte-Ménehould, qui se trouve à 7 km d’ici et j’ai donné ma montre à un camarade qui y est allé. J’espère qu’elle pourra être réparée.

Le canon tonne toujours dans l’Argonne, on entend également la fusillade et les mitrailleuses. La guerre n’est pas finie.

Soignez toujours mon jardin, ma chambre et mes effets, surtout par le temps humide qu’il fait tout à l’heure.

Mon cher père, je vous prie de recevoir mon affection sincère.

Votre fils qui pense à vous. ‑ H. Moisy

Je viens de recevoir une lettre de Baptiste Méchain, vous le lui direz. – H. M.

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