9 janvier 1915. Je vais faire un tour avec Roederer et Cordonnier aux petits-postes de la 6ème.



9 janvier 1915. Berry

Après avoir déjeuné avec le commandant dans la tranchée du 2ème bataillon (il y avait des huîtres) je vais faire un tour avec Roederer et Cordonnier aux petits-postes de la 6ème. Les petits-postes sont les postes les plus avancés des tranchées. Ils sont occupés par une escouade d’une douzaine d’hommes. Celui que nous atteignons par un boyau peu profond est à la lisière d’un bois, devant les inondations du Rû d’Hozie. Le petit poste allemand se trouve au-delà d’un barrage de terre et de madriers jeté par l’ennemi pour faire déborder la rivière. Devant nous, à peu de distance, entre l’ennemi et nous, j’aperçois le cadavre d’un chasseur alpin. Ses orbites creuses indiquent que la mort l’a couché là depuis longtemps.

Au-delà de l’inondation le village de Chevillecourt, quotidiennement bombardé par nous, reçoit des 75. Toutes les maisons sont trouées, éventrées… Au-dessus du village l’église d’Autrèches montre son monceau de pierres noircies par l’incendie.

Pendant qu’avec des jumelles nous fouillons le village tragique, une sentinelle allemande décharge sur nous ses six cartouches. Les balles du maladroit viennent briser les branches des arbustes à 2m au-dessus de nos têtes… Je ne connais pas un de nos troupiers qui ferait, à 100m, un tir aussi déplorable… L’homme qui nous veut du mal se tient derrière un tas de bois, auprès du cadavre du chasseur alpin. Il s’est ménagé une meurtrière entre les rondins et peut tirer sans se faire voir.

… Les pièces de 75 de la carrière bombardent à obus explosifs une batterie allemande que l’on vient de découvrir dans un petit bois à gauche de la route d’Autrèches… La batterie allemande qui tirait sur les tranchées de la ferme de la carrière St Victor se tait. Et l’on verra demain dans le communiqué officiel : « Dans la région de Vic s/Aisne notre artillerie a réduit au silence l’artillerie ennemie. »

… Mais on ne dira pas que les obus allemands ont démoli notre poste de secours d’Hautebraye, d’où, par miracle, Péquegnot (un des majors du régiment) venait de sortir avec son infirmier.

Le mien, comme tous les jours, a reçu sa petite part de shrapnells. Vers 4h l’ennemi met un grand acharnement à bombarder le champ de betteraves qui se trouve derrière le poste. Il y envoie fusants et percutants avec une prodigalité qui m’étonne. J’ai fait brûler de ce côté un tas d’ordures. Je suis persuadé que les Allemands en ont pris la fumée pour celle de la batterie qui tire à 500m de là !…

A la nuit, Caussade vient me relever. Aujourd’hui je n’ai eu que deux blessés. L’un avec une balle dans l’épaule, l’autre avec une balle dans le bras.

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Une réponse à 9 janvier 1915. Je vais faire un tour avec Roederer et Cordonnier aux petits-postes de la 6ème.

  1. Patrice PONSARD dit :

    des huîtres en première ligne ! D’où viennent-elles donc et dans quel état ? Nous imaginons sans peine que ce met de choix n’est pas à la portée du « poilu » de base…

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