27 décembre 1914. En somme nous voici revenus et – très vite adaptés – à la vie primitive



27 décembre 1914. Berry

… En somme nous voici revenus et – très vite adaptés – à la vie primitive, à la vie telle que la menaient les hommes de l’âge de fer, telle que la mènent les peuplades de l’Afrique équatoriale ou tels sauvages de l’Océanie. De nos mains et sans autres moyens que des instruments primitifs nous avons bâti des villages de terre, de branches et de chaume, et nous y vivons.

La hutte du chef se distingue de celle du bas peuple par ses dimensions plus vastes et son sol mieux balayé. L’intérieur des cases comporte une couche de paille, ou d’herbes sèches, parfois de fougères, couche abondamment fournie de poux. Une lampe primitive l’éclaire : elle est le plus souvent creusée dans une racine ou dans une betterave, ou encore dans une pierre tendre. Emplie de graisse animale fondue et munie d’une mèche de coton elle remplit convenablement son office. A sa lueur chétive l’homme de la cabane travaille à améliorer son vêtement : j’ai vu un de ces primitifs qui se confectionnait une ceinture avec une liane de clématite sauvage. Un autre, faute de chanvre ou de lin, a réparé son pantalon avec des tiges d’herbe résistantes. Parmi les habitants du Pays des Tranchées il y a de véritables artistes. Au moyen de leur couteau ils travaillent le bois et la pierre sèche, et des cabanes ornent leur ouverture d’un frontispice guerrier ; comme tout sauvage qui se respecte, l’homme des Tranchées aime les couleurs vives, et les charpentes de la hutte sont souvent peinturlurées de vermillon, d’ocre et de coeruleum.

Pour subsister, il faut du feu et de la nourriture. Chaque nuit, des guerriers de la tribu vont abattre quelques arbres de la forêt, d’autres vont au village abandonné égorger les dernières poules ou dépecer un bœuf dû à la générosité des grands chefs de la région.

La tribu est en guerre avec une puissante peuplade voisine, les Boches. Pour se défendre elle a creusé des chausse-trappes, planté des piquets aigus, élevé des haies de fer, fait déborder la rivière. La nuit les Boches essaient de terrifier les Français par des jeux fantastiques de lumières, par des vociférations et des milliers de coups de feu. Mais les Français rampent dans les hautes herbes et vont tuer les sentinelles ennemies. Quand l’un des nôtres est tué on l’enterre sur place sans cercueil, sans autre linceul que son manteau maculé de sang et de boue. Quand il y a un blessé on le charge sur une sorte de chaise à porteurs et des guerriers, qui se distinguent des autres par une sorte de large bracelet de lin blanc taché de rouge, à la hauteur du bras gauche, le transportent à la cabane du guérisseur. Celui-ci, par la vertu de certains linges, étanche le sang et par le moyen d’un mystérieux petit instrument, dont il enfonce la pointe sous la peau, calme la souffrance.

Telle est la vie que mène, à l’époque des neiges, en l’an dix-neuf-cent- quatorze, la tribu des Français, appelée aussi « Tribu des Vrais-Poilus ».

D’autres de la tribu ont adopté comme abri une vaste grotte. Ils passent leur vie dans une demi-obscurité qu’aggrave encore la fumée des foyers. Leurs heures s’écoulent dans un désoeuvrement à peu près total. Les artistes de ce groupe-là taillent dans les parois de la grotte des figures d’animaux et aussi des figures d’hommes qui ressemblent à des animaux. Ainsi s’embellit leur demeure souterraine. Il y en a qui sculptent des bâtons pour s’en faire des cannes. D’autres nettoient leurs armes. La plupart s’adonnent aux douceurs de la pipe. Les uns et les autres, ignorant les soins de la propreté, ont le visage noir, les cheveux et la barbe hirsutes, et au geste ininterrompu de leur main qui fouille les profondeurs de leurs vêtements l’on devine que des poux les dévorent. Ils n’ont comme couche que la poussière blanche de la grotte. Mais ils chantent. Ils ne sont donc pas malheureux. Ce sont aussi des Vrais-Poilus.

Des hommes habitant des régions fort éloignées des sentiers de la guerre ont essayé d’inculquer à ces sauvages des notions de ce qu’ils nomment « l’hygiène ». Et à ce propos il a été donné lecture hier aux guerriers de la tribu d’une proclamation d’où se détache ce passage :

« La propreté des mains a une très grande importance. Les hommes doivent se les laver avec du savon, autant que possible avant chaque repas, en tous cas au moins une fois par jour.

Avoir une attention particulière pour le nettoyage des ongles.

Pas d’ongles en deuil. »

Signé : de Villaret.

Les Vrais-Poilus, après avoir entendu cela, se sont regardés, ont regardé les chefs, et puis ont regardé leurs mains.

« -Du savon ?… Des repas ?… Connais pas !… » Et comme à ce moment-là la tribu des Boches reprenait le combat en faisant tomber sur leur village de terre une pluie de fer, chacun est rentré dans sa case et a continué de creuser avec ses ongles la niche-abri contre ce fer meurtrier…  « Pas d’ongles en deuil, ruminait chacun dans sa tanière. Cela veut-il dire : « Ne perds pas la main droite au combat afin que la gauche n’ait point à prendre le deuil ? » Pas d’ongles en deuil !…

Il ne faut pas tenir à ces peuplades guerrières un langage ténébreux…

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Une réponse à 27 décembre 1914. En somme nous voici revenus et – très vite adaptés – à la vie primitive

  1. Patrice PONSARD dit :

    conserver le sens de l’humour, ça maintient le moral !

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