9 novembre 1914. Ordre aux officiers d’aller reconnaître les emplacements que leurs troupes sont appelées à occuper en cas d’alerte.



9 novembre 1914. Courmelles

Ordre aux officiers d’aller reconnaître les emplacements que leurs troupes sont appelées à occuper en cas d’alerte. Notre secteur se trouve situé dans un triangle délimité à peu près par Acy, Vénizel et Sermoise, avec tranchées parallèles à la grand’route de Soissons à Reims.

Je pars reconnaître avec le lt Vilmure, basque à tous crins, qui est un excellent compagnon d’« aventures ». Nous nous dirigeons vers le secteur en passant par Septmonts, dont nous visitons le superbe château du XIIIème siècle ; par Acy, occupé par des chasseurs alpins, et par le vallon qui descend d’Acy à la route de Reims.

La belle grande route, bordée de peupliers énormes, est aussi morte que la ville. Sa chaussée est jonchée de feuilles que nul cantonnier ne vient balayer. Sur les bas-côtés nous trouvons une longue suite de tranchées anglaises, individuelles. Elles sont comme des baignoires creusées dans le sol avec un demi-couvercle en gazon : elles ont été sérieusement arrosées par l’artillerie allemande.

Grâce au brouillard nous pouvons circuler sur la route sans être vus de l’ennemi dont les lignes d’infanterie sont, à certains endroits, à peine à mille mètres de nous. Pourtant nous entendons soudain une vive fusillade à notre gauche. « Allons-y ! » me dit Vilmure. Et nous continuons d’avancer jusqu’à Sermoise.

A l’entrée de Sermoise une sentinelle marocaine nous barre le chemin. Impossible d’entrer en pourparlers : elle ne sait pas un mot de français et sa baïonnette est menaçante. Heureusement l’adjudant chef de poste vient à notre secours. Je tire mon kodak de ma poche et aussitôt voilà mon Marocain qui éclaire son noir visage d’un large sourire et se met devant moi l’arme au pied. Certainement des officiers anglais l’ont déjà photographié. En un clin d’œil, tous les Marocains qui occupent ce village bombardé, accourent et ce sont des cris et des coups pour savoir qui sera photographié le premier. L’un d’eux pose devant moi « comme quand y a boches. » Le voilà qui s’agenouille, place six cartouches entre ses dents, quatre entre les doigts de sa main gauche et met en joue ; ce gaillard-là à lui seul a chargé l’autre jour une tranchée occupée par vingt Allemands : il en est revenu avec la cuisse traversée d’une balle en déclarant à un adjudant qu’il avait dû reculer devant « tous les couteaux à viande » qui étaient sortis de la tranchée à son approche.

Et l’on m’en raconte comme cela pendant une heure. Les coups de feu ne cessent point : il s’agit d’un engagement qui a lieu à 1500m de là entre des Marocains et des patrouilleurs allemands.

Comment ? Voilà des gaillards qui combattaient encore la France au mois de juin et qui la servent maintenant avec une vaillance, une discipline, un dévouement admirables ? C’est à n’y rien comprendre. « Tous les hommes que j’ai ici, me dit un capitaine, ont pris les armes contre nous. »

Nous revenons par Ciry, occupé également par les Marocains. Là les Anglais ont eu à subir des feux violents d’artillerie : le sol est labouré par les « grosses marmites », les maisons sont en ruines. De ci de là des petites tombes fleuries entre deux trous d’obus : des tombes d’Anglais, avec une casquette de drap marron.

Des Anglais ont vécu au-dessus de Ciry dans des trous creusés au lieu dit « les Carrières ». Le chemin est jonché de boites de conserves anglaises. Là des obus sont tombés hier. Grâce au brouillard épais nous ne sommes pas repérés et nous pouvons franchir sans encombres le passage dangereux qui va de Ciry à la ferme St-Jean, encore toute fumante d’un récent obus.

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