7 novembre 1914. Comme Anne, ma sœur Anne, je suis monté sur la haute tour du château de Berzy



7 novembre 1914. Courmelles

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Situation de l’ennemi sur l’Aisne le 7 novembre 1914.

Comme Anne, ma sœur Anne, je suis monté sur la haute tour du château de Berzy et comme elle je n’ai rien vu… Pourtant à travers le brouillard j’ai pu apercevoir Saint-Jean-des-Vignes. Saint-Jean-des-Vignes est tout meurtri, il ne lui reste plus qu’un clocher et l’autre est grièvement blessé. En ce moment l’artillerie teutonne s’acharne sur ce mourant : on nous l’avait bien dit que ces gens-là achevaient les blessés ! Et dans la brume l’éclatement des obus autour de cette église, déjà victime de 1870, prend des caractères de cauchemar.

Vers 2h une violente canonnade éclate à l’est de Soissons : il paraît que nous attaquons vivement l’ennemi du côté de Condé. Quelques fusillades, également, crépitent dans cette direction. Je vais aller voir ce qui se passe de ce côté-là.*

6h Je me dirige vers Soissons par un chemin boueux qui serpente entre des betteraves. A mesure que j’en approche le bruit de la bataille se fait mieux entendre. Des obus sifflent, puis éclatent. Des obus français leur répondent. Les coups de feu font des pan !… pan !… pan pan ! irréguliers, isolés par instants, et soudain précipités. Les mitrailleuses, de temps en temps, leur coupent la parole et leur caquetage résonne dans les vallées. Tout cela se passe dans le brouillard. Je ne vois point les troupes, j’entends leur présence.

A mesure que la nuit tombe, le combat s’éteint. Les mitrailleuses se taisent… puis les canons… enfin les coups de fusil s’espacent… On entend un coup ici, un coup là… Et tout rentre dans le silence et dans l’obscurité.

22h

Je reviens de Villers-Cotterets où j’ai accompagné en auto le capitaine Dufour chargé de la liaison entre l’état-major de la 6ème armée et nous. Nous avons, à la lueur des phares, frôlé les hêtres fantastiques de la forêt, mis en déroute des lapins et des hiboux, traversé Longpont dont les ruines se dessinaient en contours imprécis dans le brouillard lunaire.

A Villers-Cotterets nous avons fréquenté pendant deux heures les services de l’arrière : les services de l’arrière sont un ensemble de gens très propres, très astiqués, qui se promènent dans les rues en fumant des cigares et en disant des gaudrioles. Parmi eux, avec nos chaussures boueuses, nos vareuses usées, de quels paysans du Danube n’avions-nous pas l’air ! Mais j’aime mieux ma boue que leur cirage.

Au retour, les postes de la forêt nous arrêtent et visent minutieusement nos papiers : un officier allemand, costumé en officier français, circule en automobile, muni, paraît-il, d’un laissez-passer signé du G[énér]al Joffre et de la Sûreté générale. Et nous voyons les braves territoriaux sortir de leurs petites cabanes de terre, devant lesquelles brûle un beau feu, et fouiller nos traits de la lumière de leurs falots.

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Une réponse à 7 novembre 1914. Comme Anne, ma sœur Anne, je suis monté sur la haute tour du château de Berzy

  1. Patrice PONSARD dit :

    pas très fréquentables les gens du service de  » l’arrière », propres sur eux et en uniforme impeccables…Il est vrai qu’ils sont par définition  » loin de la riflette », et peuvent donc vivre confortablement et en sécurité…Maurice a bien raison de se moquer de passer pour un paysans du Danube en comparaison de ces mirliflores , lui au moins a risqué sa peau très souvent dans l’exercice de sa mission…
    Au passage, je note avec amusement que l’expression  » paysan du Danube » existait déjà en 1914, il y a donc 100 ans, alors que comme d’autres sans doute, j’imaginais qu’il s’agissait d’une expression plutôt récente, je l’ai souvent entendue dans ma jeunesse dans les années 60/70 en pensant qu’elle était très  » in » à l’époque !
    On voit aussi que les  » Boches » n’hésitaient pas à utiliser toutes les traitrises, costumés en officiers français pour semer le désordre dans les unités ou déguisés en infirmiers pour
    tirer sur les brancardiers français et en général sur le personnel du service de santé…
    La  » Cinquième colonne », ils n’ont pas attendu mai 1940 pour la mettre en oeuvre !

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