5 novembre. Henri Moisy : « Depuis 31 jours, je n’ai vu ni une femme, ni une maison »



Le jeudi 5 novembre 1914

A 5 h je redescends dans le ravin et je continue à creuser. Je vais à la grande source des Courtes-Chausses faire ma toilette et chercher de l’eau. Je retourne passer la nuit à la cote 285.

 

X……., le jeudi 5 novembre 1914 – 13 heures.

Ma chère Eugénie,

En même temps qu’à toi, j’écris à Papa, de cette façon, si une lettre n’arrive pas, l’autre arrivera peut-être.

Je viens de voir à l’instant Georges Tiran qui est à la troisième Compagnie. J’ai causé longuement avec lui, il se porte bien.

Pour te donner une idée de notre isolement, je te dirai qu’il y a aujourd’hui un mois, exactement 31 jours, que je n’ai vu une femme, ni une maison. Nous ne vivons absolument que dans les bois. Quel soulagement quand nous reverrons un village ou une ville.

Malgré cette vie extraordinaire, je me porte très bien, mieux que jamais.

Je n’ai pas encore reçu de tes nouvelles depuis mon départ d’Orléans. Ce n’est pas un reproche que je te fais, mais c’est pour te renseigner si tu m’as écrit.

Je me suis débarbouillé hier et avant hier, je n’y étais plus habitué.

Quand nous changeons de linge, nous sommes obligés de jeter celui qui n’a servi qu’une fois, impossible de le laver. Heureusement, nous en touchons en quantité suffisante pour changer.

Si je peux revenir à Bourgueil, je me souviendrai toujours des jours que je vis en ce moment.

Bonjour à Georges et à P’tit Georges

A toi mon meilleur souvenir

Ton frère, H. Moisy

Caporal au 131ème de Ligne

5ème Compagnie

Orléans ‑ Loiret ‑ En campagne

 

X….. le jeudi 5 novembre 1914 – 13 heures

Mon cher père,

Je pense que vous avez à présent terminé vos gros travaux. Le graines, les pois sont ramassés, les vendanges sont terminées, le vin est tiré depuis quelques jours sans doute. Vous allez donc pouvoir vous reposer ou du moins travailler moins fort.

Nous voici arrivés dans les mois d’hiver mais ici on ne s’en aperçoit guère. Le temps est toujours doux et sec et nous n’avons pas à souffrir de ce côté là. Je vais vous répéter ce que je dis dans toutes mes lettres, que je suis bien portant. Je suis tel que vous m’avez vu à Orléans le mardi 29 septembre, ni mieux ni plus mal. Comme la fatigue n’est pas grande, je supporte facilement la campagne. La nourriture est toujours bonne.

J’ai reçu régulièrement toutes les lettres qu’Aimée m’a envoyées, elle a dû vous le dire et vous faire voir les lettres que je lui envoyais. J’ai aussi reçu le colis de chocolat.

Je vous écris cette lettre en plein air, assis sur mon sac, dans la forêt, par un beau soleil, en gilet de laine et à l’abri des projectiles. Quand on est comme cela bien tranquille, par un beau temps, on pense à toute autre chose qu’à la guerre. Mais, de temps à autre, un coup de canon tiré à 2 km de nous nous ramène à la triste réalité.

Je pense à vous dans mes prières comme je sais que vous pensez à moi dans les vôtres.

Votre fils qui vous aime. H. Moisy

Caporal au 131ème de ligne

5ème Cie ‑ Orléans ‑ Loiret

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Une réponse à 5 novembre. Henri Moisy : « Depuis 31 jours, je n’ai vu ni une femme, ni une maison »

  1. Patrice PONSARD dit :

    intéressante et amusante cette anecdote sur le linge, l’Intendance était finalement assez généreuse, ce qui n’a pas toujours été le cas, puisque le troupier  » touche » autant de linge neuf que nécessaire dans l’impossibilité qu’il est de le laver…
    Ce n’était sans doute pas ainsi dans tous les secteur, car d’autres témoignages ne vont pas tout-à-fait dans ce sens…
    Dit-il cela à cause  » d’Anastasie » ?
    En effet la censure postale exercée par des agents tatillons était impitoyable, idem quand il déclare  » je supporte facilement la campagne, la nourriture est toujours bonne… ». Doit-on en comprendre en clair le contraire et considérer que l’ami Moisy s’exprime par antiphrase ?

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