3 avril 1915. Nous avons assisté ce matin à l’exécution de quatre militaires condamnés à mort.



3 avril 1915. Saint-Amand-

Nous avons assisté ce matin à l’exécution de quatre militaires condamnés à mort.

La cérémonie s’est déroulée à 1500m du village dans une prairie encaissée, formant un carré dont trois côtés étaient occupés par les troupes de la brigade et le quatrième, au pied d’un talus, par les quatre poteaux d’exécution.

L’exécution doit avoir lieu à 7h. A 6h nous sommes déjà sur le terrain. Six mille hommes sont présents avec drapeau, clairons, tambours, voire même chevaux de mitrailleuses. Le ciel est bas. Il tombe une petite pluie fine et froide, qui nous fait grelotter. Devant chaque poteau, à dix mètres, viennent se ranger, sur deux rangs chacun, les quatre pelotons d’exécution constitués par les plus anciens sergents, caporaux et soldats de la brigade. L’ensemble est commandé par un vieil adjudant. Il me semble qu’il y a une douzaine d’hommes par peloton.

L’attente dure 1h1/2. Les condamnés amenés en automobile sont en panne à quelques kilomètres. Enfin, ils arrivent. Quel soulagement pour nous qui souffrons pour eux !… Le camion recouvert d’une bâche, sur laquelle sont peintes au milieu d’ovales blancs des croix de Lorraine noires, se hisse péniblement sur l’herbe grasse jusqu’au niveau de la ligne des poteaux. L’arrière est ouvert et laisse voir en compagnie de huit gendarmes quatre pauvres types en capote, le képi sur la tête. Ils n’ont pas des têtes de révoltés. Oh ! non… Ce sont quatre mutilés volontaires. L’un d’eux, le plus jeune, porte un pansement à la main gauche… Ils sautent l’un après l’autre, mêlés aux gendarmes, du haut de l’automobile. Ils sont solides sur leurs jambes, dociles comme des moutons, silencieux. L’aumônier arrive jusqu’à eux, il ne peut articuler une parole. Ils se dirigent, chacun entre deux gendarmes jusqu’au dernier des quatre poteaux. A ce moment les tambours et les clairons battent et sonnent. Le commandement de « Présentez armes ! » retentit dans les bataillons et une haie de baïonnettes se hérisse soudain devant le lieu du supplice.

Les quatre hommes toujours dociles et disciplinés jusqu’au bout cherchent la place qui leur revient. L’un d’eux demande à un gendarme, en désignant un des poteaux : « C’est ma place, celle-là ? ».

On les adosse au piquet, lentement. On les agenouille. Le plus jeune ne pose qu’un genou à terre. Avant de recevoir le bandeau sur les yeux il peut apercevoir un groupe de soldats qui, la pelle et la pioche à la main, attend dans un coin pour l’ensevelissement.

Un soldat se détache de chaque peloton, noue posément un large bandeau blanc sur les yeux de chaque homme. Il se retire en même temps que les gendarmes sur la pointe des pieds… Tout cela dure très longtemps, est fait avec une horrible lenteur, un calme inouï.

Pendant que les gendarmes se retirent, les deux rangs des pelotons se rapprochent jusqu’à quatre ou cinq mètres des condamnés.

« Feu ! »

Une énorme détonation. Quatre corps qui s’effondrent. Un cri. Un seul. Et puis quatre coups de révolver, dits « coups de grâce »…

Au pied de chaque poteau un corps replié, les genoux ployés, la face contre terre. Et c’est devant cette pauvre loque bleue éclaboussée de sang que défile la brigade entière, l’arme sur l’épaule, baïonnette au canon.

– J’oublie de noter que pendant la cérémonie de l’agenouillement et du bandeau, un gros homme à trois galons a lu les sentences des condamnations, que personne n’écoutait.-

Quand les 6.000 hommes ont défilé, les soldats aux pelles et pioches s’approchent et creusent une fosse auprès de chaque cadavre.

Je regarde ces morts. Je pense au motif de leur exécution : mutilation volontaire. J’évoque l’enfer des Hurlus… Est-ce bien de sang-froid qu’ils se sont mutilés ? Ils étaient fous. Mais quelle leçon pour les spectateurs terrifiés de ce matin. C’est l’excuse de cette lente et sinistre cérémonie à laquelle on a eu tort de faire assister notre drapeau.

Comme ils sont pâles ces colonels, ces officiers, ces soldats qui regagnent Saint-Amand sous la pluie fine. Et comme ils sont silencieux !…

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3-4 avril 1915 : le soldat Deiffel est tué par un obus qui lui traverse la poitrine avant d’éclater



Le samedi 3 avril 1915
La nuit je me repose six heures et je prends six heures de garde. Le secteur est calme toute la journée.

Le dimanche 4 avril 1915 — Pâques —
Nous sommes toujours en première ligne. Bombardement de la cote 263 par l’artillerie française de 13 h à 18 h. Je suis au petit poste et certains obus de 75 passant au-dessus de nos têtes, tombent à 30 m devant moi. L’artillerie allemande riposte et nous recevons des obus. Le soldat Deiffel est tué par un obus de 77 qui lui traverse la poitrine avant d’éclater, plusieurs autres sont blessés. Il pleut toute la nuit et toute la journée.

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2 avril 1915 : je vais passer Pâques dans les tranchées de première ligne, triste fête, comme à Bourgueil



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1er avril 1915 : nous arrivons à 2 h aux tranchées de première ligne



Le jeudi 1er avril 1915
Nous arrivons à 2 h aux tranchées de la cote 285, ma section est en première ligne et je vais au petit poste. Bombardement par obus et crapouillots toute la journée, des deux côtés. Vu aéroplanes. Nous avons de bonnes tranchées et quelques abris. Je vais en corvée d’eau à l’arrière.

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30-31 mars 1915 : départ du Claon



Le mardi 30 mars 1915
(+). Revue par le commandant de la brigade le matin. Repos l’après-midi. Je vais me promener le long de la Biesme, petit ruisseau qui sépare le département de la Meuse de celui de la Marne.

Le mercredi 31 mars
(+). Je prends la garde à 10 h route de Florent. Je suis relevé de garde à 18 h, mon bataillon devant retourner aux tranchées cette nuit. Nous quittons Le Claon à 22 h.

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