Angoulême dans le retro : la genèse d’un monument



En janvier prochain, le festival international de la bande dessinée d’Angoulême fêtera ses 40 années. Un bien bel anniversaire pour la plus grande manifestation de la planète consacrée au neuvième art. Durant ces quatre décennies, ce festival né avant tout de la passion de quelques irréductibles, a su fédérer autour de lui une grande majorité du monde de la bande dessinée pour devenir incontournable. L’histoire est belle et ne manque pas de rebondissements et d’anecdotes, parfois légères, d’autres fois plus graves. C’est tout cela que Case Départ vous propose modestement de (re)découvrir chaque jeudi lors d’une rétrospective chronologique s’appuyant sur les documents et photographies de la Nouvelle République du Centre-Ouest et de quelques sympathiques contributions extérieures.

Un cliché datant de 1987 symbolisant à merveille le mariage réussit entre le neuvième art et Angoulême dont le slogan a longtemps été "La ville qui vit en ses images". (Photo NR)

Mais avant d’évoquer la première édition en 1974 du salon, qui ne s’appelait pas encore festival, Case Départ vous propose cette semaine de revenir sur la genèse du rendez-vous charentais.

Cet album, connu dans le monde entier, va être à l'origine du plus grand festival de bande dessinée du monde. (copyright Casterman)

Tout commence à la fin des années cinquante, l’air de rien, devant la vitrine d’une librairie d’Angoulême. Francis Groux, observe une réédition de l’album de Tintin Les Cigares du Pharaon. Quelques jours plus tard, sa femme lui offrira cet ouvrage pour son anniversaire. C’est parti ! Ce simple présent va être à l’origine de très grandes choses. Car cet animateur de MJC, de ciné-club et de cinéma va alors replonger dans la bande dessinée, animé par une passion dévorante qui ne l’a depuis plus quitté. Il collectionne, compile, s’intéresse à tout : albums revues, fanzines. Désireux de tout savoir, Francis Groux adhère au Centre d’étude des littératures d’expression graphique (CELEG) de Francis Lacassin, s’abonne à Phénix, écrit des articles qui seront publiés dans les pages de la revue belge Ran Tan Plan ou du fanzine Schtroumpf animé par Jacques Glénat, un jeune homme qui deviendra ensuite l’un des poids lourds de l’édition BD.

Mais restons à la fin des années soixante. S’inspirant de l’exposition « Bande dessinée et figuration narrative », Francis Groux lance alors à Angoulême en 1969 dans les MJC de Silac et Ma Campagne, une « Semaine de la bande dessinée » qui se tient du 19 au 27 avril. Armstrong ne posera le pied sur la lune que quelques mois plus tard mais un passionné est déjà en train d’envoyer la bande dessinée sur orbite à Angoulême.

Quelques affiches, tirées du Grand Vingtième, des prémices du festival.

Deux ans plus tard, l’Angoumoisin intègre l’équipe municipale de Roland Chiron pour présider la Commission des affaires culturelles et sociales, dépendant de l’adjoint à la Culture Jean Mardikian. Leur association va être déterminante. Rapidement, les deux hommes vont tenter de dynamiser la préfecture charentaise en mettant sur pied des animations culturelles sous le label « Angoulême Art Vivant. »

Francis Groux sollicite alors un spécialiste reconnu du neuvième art, Claude Moliterni. Fondateur de la Société civile d’études et de recherche des littératures dessinées (SOCERLID) puis de la Société française de bande dessinée (SFBD), investi dans l’organisation de salons à Paris et surtout Lucca (Italie) considéré comme la référence mondiale, Claude Moliterni présente alors du 12 mai au 22 juin 1972 à Angoulême son exposition « 10 millions d’images », sur l’âge d’or de la BD américaine avant de donner une conférence le 16 juin en s’appuyant sur des montages de diapositives et de sons. « La salle philarmonique, là où se trouve aujourd’hui le conservatoire de musique était pleine même si Moliterni racontera plus tard, avec son exagération méridionale, que le public de sa conférence se limitait à la famille Groux », se souvient Francis Groux dans son autobiographique, Au coin de ma mémoire, parue en 2011 aux éditions PLG.

La suite, Claude Moliterni, disparu le 21 janvier 2009, la racontait dans Le Grand Vingtième, l’ouvrage référence consacré à l’histoire des 20 premières années du festival. « Le soir même, nous étions invités chez le maire. Francis me présente comme l’organisateur de salons et le maire me demande : « Mais comment faites vous à Lucca ? ». Je lui réponds : nous avons un maire extrêmement sympathique qui nous donne de l’argent. Et ce monsieur me dit alors : « Et si je vous donne de l’argent, vous le faites, vous, ce festival ? » »

C’est parti ! Moliterni utilisera son carnet d’adresses et se chargera des expos, Groux et Mardikian de l’organisation. Le trio des fondateurs est constitué. Du 18 novembre au 3 décembre 1972, le musée d’Angoulême accueille alors la « Quinzaine de la bande dessinée ». Les auteurs répondent à l’appel. Parmi eux : Dany, Delinx, Franquin, Fred, Gigi, Giraud, Gotlib, Roba… La manifestation est un succès.

Publié en 1993 ce bel ouvrage riche en anecdotes et abondemment illustré conte les 20 premières années du festival d'Angoulême.

En raccompagnant Claude Moliterni à la gare, Francis Groux lui confie son désir d’organiser un festival international de la bande dessinée sur le modèle de Lucca. Séduit, Moliterni, qui en est l’un des fondateurs, propose alors à l’Angoumoisin de le faire inviter au prochain salon transalpin afin d’y rencontrer les organisateurs et leur demander l’autorisation de les copier.

A l’automne 73 Francis Groux et Jean Mardikian découvrent alors la neuvième édition de Lucca. Ils posent de nombreuses questions, reviennent avec beaucoup de choses et surtout le précieux accord des responsables locaux pour qu’ils puissent en faire autant à Angoulême.

Francis Groux (à gauche) au festival de Lucca 1973 avec Hermann et André Franquin. (Photo Numa Sadoul)

Sur le chemin du retour, tout le monde a le sourire. Et il y a de quoi. « Quand je reviens de Lucca avec une valise pleine de documents, je sens que je ramène quelque chose de très important, confiera Francis Groux bien plus tard dans Le Grand Vingtième. On réunit l’équipe à la mairie et on cherche une date où il n’y ait rien pour nous concurrencer : fin janvier nous a paru bien. »

Tant pis pour la météo que maudissent depuis 40 ans les festivaliers. L’histoire est en marche. L’aventure peut commencer…

Francis Groux (au premier plan et en veste rouge) entouré de nombreux auteurs, journalistes et officiels, en 1993 à l'occasion des 20 ans du festival. (Photo NR, Patrick Lavaud)

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À propos de Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à La Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers et passionné de bande dessinée. Auteur de plusieurs livres sur ce sujet (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires, il est également commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles…) et coordinateur des concerts de dessins pour le festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Sur twitter: @_NicolasAlbert
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6 réponses à Angoulême dans le retro : la genèse d’un monument

  1. Doc's and C° dit :

    Et nous ajouterons… En toute modestie et avec le réel bonheur de voir un fonds documentaire et iconographique précieux si bien mis en valeur (pour ce qui était de notre richesse) dans les multiples facettes de Case Départ :
     » Merci aussi aux Doc’s !  »
     » De rien, chers confrères, c’est un plaisir !  »
    ;.) + ;.)

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