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LA FILATURE
 Le résumé de ce roman paraissait singulier. Et donnait envie de s’y plonger. Bonne pioche ! Le deuxième roman d’Arnaud Sagnard remplit toutes ses promesses !

L’auteur est journaliste,  rédacteur en chef au Nouvel Observateur depuis 2014. Précédemment, il avait participé à la création du magazine GQ et de 20 minutes. Son premier roman Bronson avait été publié en 2016.
 La filature avait été commencé cette même année. Il faudra une vingtaine de versions à l’auteur avant d’arriver au résultat escompté. L’histoire ? Elle n’est pas banale. Elle nous emmène à Los Angeles.
Là, dans la mégalopole, un expert en assurances, Jonathan Harris, a une semaine pour suivre discrètement Daniel Stein, un conducteur de bus de 62 ans, qui vient d’être soudainement rétrogradé.
C’est que ce dernier passe, à son insu, un test pour éprouver la « flexibilité » de l’entreprise –  à la clé, un contrat d’assurance de plusieurs centaines de millions. Mais rien ne se passe comme prévu.

Un roman noir et grinçant

 Daniel Stein, employé modèle et chauffeur sur la ligne 2, prisée parce qu’elle arpente les beaux quartiers, acceptera-t-il de rejoindre les « Hiboux », le service de nuit et son lot de clodos et de junkies ?
Au fil des jours et de sa filature, le malaise de l’assureur grandit. Le sexagénaire agit bizarrement, sans s’effondrer cependant. Sans se mettre en colère non plus. Mais son comportement ne cadre pas avec ses états de service. Il prépare quelque chose. Mais quoi ? Daniel Stein parle en revanche. Dans sa tête, au poisson coincé dans sa gorge, à son enregistreur aussi. Pas à ses contemporains. A l’exception notable de son ex-femme. Une réminiscence de l’enfance. D’un parcours chaotique aussi.
 On suit le chauffeur à travers la ville quand il est au volant de son bus, mais aussi et surtout quand il conduit sa Chevrolet Impala.
On suit aussi l’expert en assurances, de plus en plus dépité. Et les témoignages des personnages extérieurs s’insèrent aussi au fil des chapitres de ce roman noir et grinçant. Qui bascule peu à peu dans l’étrange.

 Extraits

Page 13 :« […] Cette fois-ci, ma mission consiste à suivre non plus une entreprise mais un individu et à observer son comportement pendant une semaine car de lui, qui ignore tout cela, dépendent des dizaines de millions de dollars. Une semaine pour l’étudier sous toutes les coutures, le jour, la nuit, peu importe. La mallette à mes pieds contient les documents, assez légers, qu’ils m’ont donnés sur lui. Selon toute vraisemblance, cet homme grand et maigre, âgé de soixante-deux ans, est un être de basse intensité. Il ne porte pas d’alliance ni ne possède de téléphone portable, sans doute ne veut-il pas être joint ni lié à qui que ce soit. Chez nous, les assureurs, c’est un signe d’alerte, cela signifie que la personne est proche, si elle n’y est pas déjà plongée, de la marginalité. »
Page 88 :« […] Autrement dit, Daniel Stein emportait l’unique mémoire de la boîte. Sans, la LACMTA n’aura pas les moyens de s’opposer aux recours juridiques des salariés, c’était là sa vengeance, son attentat silencieux. 
A l’extérieur, un sans-abri passa sans le voir. L’abruti qui suivait Stein dans sa japonaise n’était plus là, il ne saurait rien de son forfait. A cette heure-là, il devait dormir en famille, croyant sa cible rentrée à la maison après le match. Les commanditaires avaient surestimé leur séide, on ne confiait pas ce genre de tâche à quelqu’un comptant ses heures de sommeil. »
Page 149 :« […] J’ai sous-estimé le chauffeur de la ligne 2. Il a la foi, quelle que soit sa congrégation, baptiste, pentecôtiste ou autre chose, il n’y a pas de meilleur signe de stabilité. A tous les coups, il croit en Dieu pour emmerder son père communiste. L’énergie, il l’a déjà retrouvée, d’où ses récents dérapages, mais maintenant, avec un socle spirituel et une direction à suivre, il peut aisément accepter de bosser la nuit. Et à moi, le million ! »
La filature, Arnaud Sagnard, Stock, 19,50€

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OFFENSES

Un uppercut, ou un coup de poing américain. Constance Debré a l’art de ne pas laisser indifférent. Son style est affuté, son discours, radical.

C’est à la sortie de son deuxième roman, lu pendant le confinement que je suis tombée dedans. Depuis, j’ai lu chacun de ses romans (ici et encore là). Happée par le texte, par le style et par la radicalité de son propos. Constance Debré porte un nom qui parle : elle est la fille de François Debré, la nièce de Jean-Louis et de Bernard. Elle a grandi avec les codes de la grande bourgeoisie, au milieu des démons de ses parents toxicomanes. Un patronyme lourd à porter, à assumer. Un nom, le sien, qu’elle a gardé après s’être séparée de tout le reste : son couple, son fils, son métier, sa sexualité, son héritage.

Après Play BoyLove Me Tender et Nom que l’on peut assimiler à une trilogie autobiographique, elle revient avec un quatrième roman et sa première fiction, Offenses.

Au fil des pages, nous plongeons dans le glauque d’un meurtre de proximité : celui d’une vieille femme par son jeune voisin qui lui faisait pourtant régulièrement des courses. Mais une dette de stupéfiants de 450 euros le transforme en assassin. Pas de prénom, pas d’adjectif superflu. Une écriture à l’os.

 

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9782080285935

 

Véronique Ovaldé est de retour et autant dire que cela illumine cette rentrée littéraire ! Cette jeune quinquagénaire a publié son premier roman en 2000, intitulé Le sommeil des poissons.

Au fur et à mesure de la parution de ses romans, l’écrivaine se fera remarquer dans l’univers littéraire. En 2009, elle recevra trois prix :  le prix Renaudot des lycéens, le prix France Télévisions et le grand prix des lectrices de Elle pour Ce que je sais de Vera Candida, son septième roman.

Véronique Ovaldé, également éditrice, écrit aussi pour la littérature jeunesse.

Drame un soir de carnaval

L’histoire de ce 29e opus intitulé Fille en colère sur un banc de pierre ? Elle nous mène sur l’île d’Iazza, au large de Palerme. C’est là que vivent les Salvatore : un père tyrannique et ombrageux, Salvatore ; une mère effacée, Sylvia et leurs quatre filles qui, toutes, portent le prénom d’une héroïne d’opéra, la passion de leur père. Il y a donc Violetta la reine, Gilda la pragmatique, Aïda la préférée et Mimi le colibri.

Les deux plus petites, Aïda et Mimi, sont inséparables. Tandis que le père aime à créer des différences entre ses filles. Un soir de carnaval, Mimi, qui n’a encore que 6 ans, disparaît. Elle ne sera jamais retrouvée. Aïda l’accompagnait. Leur père va la considérer comme responsable. Au point qu’Aïda finira par quitter l’île pour vivre à Palerme. Elle n’est encore qu’une adolescente.  Elle a été ostracisée. Et s’est construit une vie. Entre petits boulots, ouvrages de vulgarisation scientifique et rencontres fugaces.

Quinze ans se sont écoulés quand l’une de ses soeurs l’appelle. Leur père vient de mourir. Aïda décide de rejoindre la maison familiale et ses souvenirs. Elle en profitera pour se décharger de la culpabilité qui pesait sur elle depuis si longtemps. A tort. Grâce à Pippo, leur camarade un peu étrange. Aïda, c’est elle la jeune fille en colère sur un banc de pierre…

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Rentrée littéraire 2023

IL SUFFIT DE TRAVERSER LA RUE

La phrase a marqué. Le 15 septembre 2018, Emmanuel Macron lançait à une jeune chômeur de 25 ans qui lui expliquait ses difficultés… qu’il suffisait de traverser la rue pour en trouver un.

Un titre qui claque.  Et une histoire qui nous plonge dans les années 2010, au fil d’une « petite saga ». L’histoire ? C’est celle d’Aurélien Babel, un journaliste de 57 ans, poètes à ses heures perdues, pour le bureau parisien de MondoNews, groupe tentaculaire qui finirait par vous faire croire au journalisme sans journalistes.

Sauf que les actionnaires ont décidé de faire plus avec moins. Un plan social est annoncé. Il n’y aura que trente départs volontaires. Aurélien Babel veut en être. Quitte à être vil.

Il finira par prendre ses cliques et ses claques en saisissant au vol une opportunité de reconversion professionnelle. Mais, dans les méandres des organismes de formation qui sont un business à part entière, rien ne va se passer comme prévu…

Je ne connaissais pas les romans d’Eric Faye. J’avoue que j’ai plongé dans celui-ci grâce à son titre. Et je ne l’ai pas regretté.

Au fil de ce roman, l’ancien journaliste brosse le tableau d’une classe moyenne incapable de résister à l’offensive néo-libérale et de se mobiliser lorsqu’elle est attaquée.

Auteur de romans, de nouvelles, de récits de voyages et d’essais, Eric Faye signe avec Il suffit de traverser la rue son douzième roman.

Une chronique caustique, une fable grinçante qui raconte notre époque. Pas la plus chouette, non de là.

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Rentrée littéraire 2023

AGE DE DETRUIRE OK

Un rendez-vous. Après la rentrée littéraire de la rentrée, qui fournit de la matière aux prix si convoités, voici la rentrée littéraire d’hiver, souvent plus âpre et plus inventive. Cette année, dans un contexte d’augmentation du prix des livres, 517 romans et récits commencent à trouver leur place sur les tables des librairies, soit 27 livres de plus qu’en 2022.

Face au contexte inflationniste, les professionnels du secteur vont miser sur des valeurs sûres, des auteurs aguerris. Quid des premiers romans ? Ils peuvent compter sur moi pour leur donner un peu de visibilité. Parmi eux L’âge de détruire, petite pépite écrite par Pauline Peyrade.

Pauline Peyrade, trentenaire, est déjà l’auteure de sept pièces de théâtre et son travail a été primé à plusieurs reprises. Elle signe avec L’âge de détruire un premier roman singulier.

L’histoire ? C’est celle d’Elsa. Dans la première des deux parties du roman, elle a 7 ans. Narratrice, elle raconte l’arrivée dans l’appartement que a mère, qui l’élève seule, vient d’acheter. Un appartement que la mère a du mal à investir. Un appartement dans lequel la fillette va être frappée et violentée sexuellement. Un huis clos terrible et silencieux.

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OH CANADA

 

L’écrivain américain Russell Banks est décédé le 7 janvier à l’âge de 82 ans.

L’auteur laisse une œuvre majeure dans laquelle il n’a cessé de dépeindre l’Amérique des marges et de la middle-class désabusée.

Russell Banks était lui-même issu d’un milieu modeste, marqué par la violence de son enfance et la figure absente du père.

S’inspirant davantage de la langue parlée que de la langue écrite, il s’est approché au plus près des marginaux. Et raconter les dysfonctionnements de la société américaine.

En quelque 50 ans, Russell Banks a écrit une vingtaine de livres. Certains d’entre eux m’ont accompagnée (Affliction, De beaux lendemains, Histoire de réussir,  Sous le règne de Bone, Trailerpark, American darling, La réserve, Un membre permanent de la famille…)

Son dernier roman, Oh, Canada a été publié à la rentrée littéraire de septembre 2022. Un livre testamentaire à y regarder de plus près.

L’histoire ? Au seuil de la mort, Leonard Fife, célèbre documentariste, accepte une interview filmée que veut réaliser l’un de ses disciples, MalcolmFife a exigé le noir complet sur le plateau ainsi que la présence constante de sa femme, Emma, pour écouter ce qu’il a à dire, loin des attentes de Malcolm.

Après une vie de mensonges, Fife entend lever le voile sur ses secrets mais, sous l’effet de l’aggravation rapide de son état, sa confession ne ressemble pas à ce que lui-même avait prévu.

Puissant, écorché, bouleversant, ce roman testamentaire sur les formes mouvantes de la mémoire pose la question de ce qui subsiste – de soi, des autres – lorsqu’on a passé sa vie à se dérober.

 

 

Un roman de plus de 300 pages qui retrace des décennies d’un parcours personnel, plongé notamment dans le contexte de la guerre du Vietnam.

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 Capture-décran-2022-06-27-à-11.50.51Mêler deux histoires. La première est familiale. Et honteuse dans cette famille de commerçants de l’arrière-pays niçois. La seconde se passe entre la France et les Etats-Unis, dans des laboratoires. Dans son premier roman, Anthony Passeron a choisi de raconter l’histoire de son oncle, Désiré. Mort du sida. Comme sa femme Brigitte et sa fille, Emilie.

Lui, le fils préféré, qui n’a jamais émis le souhait de reprendre la boucherie familiale, a découvert l’héroïne, est devenu accro. Toxicomane, il est tombé malade à cause de l’échange de seringues. Il fait alors partie de ces « enfants endormis » que l’on retrouvait dans les rues de Nice avec la seringue toujours piquée dans le bras…

Dans sa famille, c’est impossible à surmonter, à assumer. Entre le déni de la mère de Désiré et le silence, pesant, de son père. Tandis que son frère (le père de l’auteur) essaye d’être présent… Sans tout comprendre. Parce que trop d’informations manquent encore, parce qu’on parle du « cancer gay », parce qu’il s’agit d’une maladie mortelle engluée dans la honte encore…

Alors, après chaque chapitre consacré à la vie de cette famille au début des années 80, un autre s’ouvre en alternance, expliquant très précisément ce qui se passe chez les chercheurs. Ceux qui essaient de comprendre, de trouver l’origine de ce VIH sida et la course contre la montre dans laquelle ils se sont lancés des deux côtés de l’Atlantique.

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MAGE Waouh ! Quel roman ! Il devrait assurément se retrouver au pied de nombreux sapins à Noël. Et pour cause. Voilà un lire que vous ne voulez pas quitter et dont vous tournez les pages avec fébrilité et enthousiasme à la fois.

Giuliano da Empoli est un écrivain et journaliste italien. Ancien adjoint au maire en charge de la Culture à Florence (2009-2012), il a été le conseiller politique du président du Conseil italien Matteo Renzi. Editorialiste et essayiste politique, il a aussi fondé un think tank. En 1996, il a publié son premier livre Un grande futuro dietro di noi à propos des difficultés rencontrées par les jeunes Italiens. Cette publication a fortement animé le débat national en Italie et poussé le journal La Stampa à le désigner « Homme de l’année ».

En 2019, alors qu’il travaille à son prochain essai sur les éminences grises des totalitarismes européens, il croise la route de Vladislav Sourkov, qui fut de 1999 à 2011, l’adjoint au président de l’Administration présidentielle, vice-Premier ministre de 2008 à 2013, puis conseiller de Poutine (2013-2020). Cette éminence grise, ancien homme de télé, a joué un rôle clé dans la définition de certains concepts, la création de mouvements de jeunesse, les articulations idéologiques du régime poutinien, ainsi que le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine. Un véritable personnage de roman ! Le mage du Kremlin est né.

 

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GENET OKOK

Redécouvrir un auteur et l’histoire d’un homme. Voilà ce que permet le premier roman de Rémi DavidMourir avant que d’apparaître, paru il y a quelques semaines chez Gallimard. L’idée ? Faire pénétrer le lecteur dans l’intimité de Jean Genet et d’Abdallah Bentaga. Nous sommes au mitan des années 50.

Jean Genet, auteur, poète et dramaturge désormais célèbre, mène une vie dissolue, poursuivant cette idée de constituer « un miroir à l’envers de l’ordre moral ». En 1956, le quadragénaire rencontre Abdallah, jeune garçon de piste et acrobate de 18 ans, qui travaille alors dans un cirque. La rencontre est explosive : Jean Genet veut faire de ce jeune homme amoureux d’une fille, son amant et un fantastique funambule. Il sera aussi la figure centrale de son texte, publié en 1957, Le funambule.

C’est à partir de ce texte que Rémi David a trouvé le sujet de son premier roman. Il se documentait alors sur les funambules. Magicien, artiste et voyageur, Rémi David est l’auteur de plusieurs textes. Le trentenaire a également travaillé avec Ernest Pignon-Ernest pour une présentation de son œuvre à destination des jeunes lecteurs.

Outre ses textes édités, il participe aussi à l’écriture de spectacles à la croisée de la marionnette, de la magie et du théâtre d’objets. Parallèlement à sa pratique de l’écriture, Rémi David a fondé en 2012 l’association M’Agis qui propose, en France et partout dans le monde, des spectacles et ateliers de magie à des populations en situation de très grande fragilité.

 

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EN SALLE

Un premier roman. Encore ? Pourquoi s’en priver ? Surtout que celui que je vais vous présenter est une p’tite pépite. Son auteure est âgée de 24 ans seulement. Claire Baglin signe avec En salle un court roman singulier qui nous parle du monde du travail.

Une thématique peu exploitée par les auteurs. Si le secteur tertiaire est privilégié, le travail en usine ou dans un fast-food, qui y ressemble par bien des points, n’est pas souvent racontée. Thomas Flahaut, un auteur que je suis, le fait particulièrement bien. C’était le cas ici et encore . Joseph Ponthus avait également abordé talentueusement le sujet avec A la ligne.

La narratrice, étudiante, décroche un job d’été dans un fast-food. Elle raconte la cadence à tenir, les managers aux aguets, les procédures à suivre à la seconde… En parallèle, un autre récit s’offre au lecteur. Celui du quotidien de cette même narratrice dans sa famille, entre son père Jérôme, sa mère Sylvie et son petit frère Nico. Une famille modeste qui garde un oeil sur les dépenses. Toujours. Une famille pour qui un déjeuner au fast-food reste une exception alors que l’aînée de la famille évolue désormais dans l’envers du décor.

 

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