Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 11 Napoléon, l’empereur coin-coin de la page du Jeudi



Maurice Parent, photographié dans l’Indre en décembre 1987 (Photo Nouvelle République)

Si l’oncle Erwann avait été un fin Nemrod ou un artiste du lancer à la mouche, il aurait probablement été moins ignorant. Mais quand il a découvert que pendant trois ans, de 1949 à 1952, la page du Jeudi destinée aux jeunes lecteurs de la Nouvelle République avait été animée par un certain Maurice Parent, il s’était écrié : « Damned (il avait appris cette expression dans Buck Danny !), encore un inconnu ! »

Las, en fait d’inconnu, Maurice Parent, c’est de lui dont il s’agit ici, est une célébrité.

Revue de presse de la Nouvelle République annonçant ou relatant les quelques expositions de l’illustrateur dans le Berry, expos rares mais à chaque fois suivie d’un très grand succès.

Une célébrité internationale du monde de la chasse et de la pêche. Mais aussi une célébrité régionale puisque vivant, travaillant et exposant en Berry. Une star dans son domaine très particulier qui lui a valu une renommée bien au-delà des frontières hexagonales. Maurice Parent est un maître reconnu de l’illustration animalière. Notamment en Allemagne, en Belgique, aux Etats-Unis et au Canada. « L’un des très rares et très grands peintres animaliers européens dont la production était si recherchée qu’elle était vendue avant même d’avoir été terminée »précisera la Nouvelle République au moment de sa disparition. Sangliers, cerfs, chamois, chevreuils, renards, poissons, chiens : ils les a tous dessinés ! Il les a tous aimés. Il les a tous défendus !

Exemple de travail accessoire de ce dessinateur hors-pair. Un album de coloriage sur le thème de La Fontaine. La filiation des fables est décidément incontournable.

Crayon, fusain, encre de Chine, peinture sur soie : il a tâté de toutes les techniques. Fables, historiettes, ouvrages techniques, récits, voire pub ou bien cahiers d’écoliers, ses croquis sont partout. Et sa signature très lisible, reconnaissable entre mille.

Et ce maître dont les ouvrages sont encore référencés sur tous les sites, a (presque) fait ses débuts dans les colonnes de la Nouvelle République. Eh, oui : c’est quand même une découverte ! Alors, sonnez les cors, lâchez les beagles, piquons des deux, vers ce nouveau venu dans Case Départ.

 L’histoire

La Page des enfants du jeudi 8 décembre 1949, c’est d’abord un titre dessiné. A gauche, un petit renardeau et une grosse mère poule ; au centre une mare et deux grenouilles rigolardes qui y plongent. Et dans l’angle droit, sur un soleil noir qui met en valeur son plumage, le héros de ce décor champêtre.

Tant que durera la collaboration entre Maurice Parent et le journal, c’est ce titre dessiné qui servira de tête de page à la page Jeunes du jeudi.

Décidément, entre le chat Tom Pouce et l’ourson Petzi qui vont sévir eux aussi dans les pages de la NR à cette période, ce n’est plus un journal, c’est un zoo. Car ce héros qui se nomme Napoléon est… un canard. Un canard qui a un air de famille indiscutable avec le plus célèbre des canards dessinés… Mais non, pas Donald Duck ; non, pas Canardo ! Mais Gédéon, le canard de Benjamin Rabier, l’extraordinaire illustrateur des fables de La Fontaine en 1905.

Le début en fanfare de Napoléon dans le quotidien : Maurice Parent présente les différents protagonistes de l’histoire.

Napoléon au cirque sera l’un des épisodes des aventures de ce caneton. Les hommes n’y sont pas représentés de manière très sympathique…

Mais le Napoléon de Maurice Parent lui est bien personnel. Il a son petit caractère. Plutôt raleur, d’ailleurs, poussant, dans le texte SOUS l’image qui accompagne la bande, de nombreux coin-coin de protestation. Une bande animalière donc qui se déroule dans une mare ou un étang de la région, avec en vedette, des animaux familiers : le rat, Oscar ; Sidonie, la grenouille et Houpette, le héron au long bec emmanché d’un long cou…

Les quelques années passées par le dessinateur dans les colonnes de la Nouvelle République se conclueront par un Napoléon, un drôle de canard, publié en 1954 dans les Petits albums de la papeterie du Sentier, Hervé et fils (maison d’édition aujourd’hui disparue). A cette date, Maurice Parent avait déjà commencé une carrière exceptionnelle qui allait, soixante ans durant, tourner autour d’un seul et unique thème : les animaux.

… alors que les animaux se débrouillent fort bien.

L’auteur : Maurice Parent (1920-2002)

Le héros dans toute sa gloire, non mais, coin-coin !

Québécois d’origine, donc amoureux des grands espaces (passion qu’il partagera avec l’écrivain Maurice Genevoix), Maurice Parent, après un détour par la Côte d’Azur et Paris, va s’installer dans l’Indre, à Saint-Genou (dans la demeure de ses ancêtres !) où il vit lorsque la Nouvelle République commence les aventures de Napoléon. En fait, et Oncle Erwann en a déjà parlé, une bande dessinée racontant la vie d’un héros de la deuxième guerre mondiale avait précédé, en 1950, l’arrivée de Tom Pouce et M. Bommel.

Le commandant du groupe Alsace est l’un des grands héros de l’après-guerre : elle n’est finie que depuis cinq ans quand cette BD est publiée dans la NR.

Cette BD assez rudimentaire dans le trait s’appuyait sur les « Carnets du Commandant Mouchotte », pilote de chasse exceptionnel qui fut le premier à diriger un groupe de Spitfire (65 Squadron) avant de trouver la mort en 1943. Cette adaptation était signée Maurice Parent. Ce sera sa seule BD « humaine ».

Comme de temps à autre, l’équipe du studio Dessin de la NR, Maurice Parent se prend au jeu de l’animation des pages du journal, en dehors de son espace réservé…

(Editions Taillandier / 1947)

En fait, la première partie de sa longue carrière commence par s’adresser au public enfantin. Déjà les animaux. Les animaux gentils et familiers. Et des albums pour petits. Avec un graphisme magnifique. Voici Finette et Roudoudou, la petite fouine, en 1947 chez Tallandier alors que la même année, il s’impose aux éditions Garnier, comme le digne successeur de Benjamin Rabier, avec Misette, l’histoire d’une mésange, ou Grand Nord, avec ses  renards des neiges.

(Editions Taillandier / 1947)

(Editions Tallandier / 1949)

Comme tous les albums de Maurice Parent, ce sont des BD accompagnées de texte.

Voici entre 1949 et 1952 (c’est-à-dire exactement au moment où il dessine Napoléon), les quatre tomes des exploits de la grosse poule Valentine qu’il va envoyer jusqu’en Afrique.

(Editions Tallandier /1952)

En Afrique, où il aura déjà (1946), et c’est probablement son premier titre pour enfants, imaginé l’histoire d’un petit Africain, Bamba dont les commentaires d’aujourd’hui précisent que le texte était « fort respectueux pour l’époque ». Maurice Parent, respectueux des hommes, de la nature, des animaux…

(La Feuille d’érable / 1950)

Bamba, ou l’amour d’un enfant pour les animaux… (Editions La Feuille d’érable / 1950)

 

(Editions Hervé et fils / 1953)

 

Picotin et l’escargot d’Or paraît (aux éditions Hervé) en 1953 ; à la même période, il publie les 24 pages superbes de Au fond d’une rivière (toujours chez Garnier) : de tous ces titres oubliés (cette fois, c’est vrai !), ces albums où l’image accompagne le texte – pas de phylactères ici – on ne trouve plus trace que chez les antiquaires du net ou les libraires très spécialisées.

(Editions Garnier / 1949)

(Editions Garnier / 1949)

Au dos d’un cahier d’écolier, cette illustration du renard et de la cigogne…

Retracer ensuite l’immense carrière d’illustrateur cygénétique et animalier de Maurice Parent entraînerait Case Départ sur d’autres chemins que ceux de la BD. Il vaut peut-être simplement dire qu’alors que sa production était déjà intense, et sa réputation bien établie, c’est un formidable ouvrage préfacé par Maurice Genevoix qui devait asseoir sa notoriété. « Bestiaire de nos forêts » édité en 1974 par Daniel Cavayé et imprimé chez Aubin dans la Vienne est devenu un objet référence : 145 gravures,  dans un format à l’italienne, qui résument les heures d’observation, de communion, de savoir, et de passion pour la vie animalière.

Plus étonnant. La participation de Maurice Parent à des campagnes de publicité. Ici les chaussettes DD. Document des années 60.

Maurice Parent, ce sera une trentaine d’ouvrages (le plus souvent sur des textes de son épouse Marie-Anne), des encyclopédies de la pêche, de la chasse, de la montagne ; des livres sur les chiens, sur les oiseaux, sur les animaux sauvages. Ceux-là dont il défendra l’existence, la survie avec son « Mémoire d’animaux » (des dessins à l’encre de Chine) édité par le… Berrichon Christian Pirot en 1987 sur des poèmes de Marie-Anne.

La couverture de cet ouvrage de collection que tout amoureux de la chasse et de la nature recherche. (Editions Daniel Cavayé / 1974)

« Ce livre, confiait-il à la Nouvelle République, je l’avais en mémoire depuis des années sans doute parce que ma vie s’articule à partir de cet univers attachant qui se réduit de plus en plus au point de risquer de disparaître. Je voudrais qu’on prenne conscience de la nécessité urgente de protéger la nature et les espèces animales qu’elle abrite encore… pour combien de temps ! »

Voilà cette citation en guise d’hommage écologique à ce grand monsieur disparu voici dix ans, dont Case Départ voulait simplement mettre en avant qu’il avait, lui aussi, « fait » de la bande dessinée.

Séance de dédicace de « Mémoires d’animaux » à Châteauroux en 1987. (Photo Nouvelle République).

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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7 réponses à Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 11 Napoléon, l’empereur coin-coin de la page du Jeudi

  1. isabelle dit :

    Merci aux filles de Châteauroux pour ces trésors !

  2. Chesneau dit :

    Bravo !
    Je n’avais pas ces photos de Maurice ni le dessin de Bamba…
    Combien j’ai apprécié ce personnage !
    Merci de le faire revivre.
    JLCh.

  3. Ping : Les belles vacances de l’Oncle Erwann: Maurice Parent et Napoleon | Case Départ

  4. Julie Parent dit :

    Bonjour,
    Je suis la petite fille de Maurice Parent.
    Merci pour l’article, les photos et documents sont incroyables !
    (petite coquille néanmoins : il est né en 1922 ! )
    Serait-il possible de prendre contact avec ceux et/ou celles qui ont retrouvé ces dessins dans les archives de la NR ?
    Aussi, j’aimerai beaucoup en s’avoir plus sur cette maquette originale et ce projet de dessin animé dont parle Tassel.
    Bien à vous.
    Julie Parent
    ju.parent@gmail.com

  5. tassel dit :

    bonjour
    mon pere a travaillé avec Maurice Parent dans les années 50-60 a un projet de dessin animé. je possede qq jolies gouaches de MP. Si vous le souhaitez je peux vous passer qq images.
    cordialement

    • Françoise Parent dit :

      Bonjour, je suis la fille de Maurice et Marianne Parent et suite à votre publication j’aimerai bien que vous me fassiez parvenir ces quelques images.
      En 1947, mon père faisait du dessin animés à Paris. Un film demeure à l’INA.
      Par contre, je voulais rectifier que mon père à exclusivement fait du dessin avec des encres de Chine avec pinceaux en poil de martre, quelquefois des gouaches mais aucune pour les illustrations de livre et enfin quelques peinture à l’huile à partir de 1976. Il aimait la gravure et adorait Xavier de Poret, pour lui un maître de l’art animalier.
      Merci pour toutes ces jolies pensées concernant mes parents

  6. Tassel dit :

    Bonjour
    Mon pere, René Tassel ingenieur cinema a travaillé a paris fin des annees 40 et la maquette dont je dispose est composee de dessins et de peintures dont le graphisme est typique de grand nord. Si un jour vous organisez une expo ou une retrospective, je tiens ma maquette  »billy petit castor » à votre disposition. C’est un enchantement.
    Bien cordialement

    Jp tassel 7 sept 2017

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