Case Départ raconte Angoulême : 1980, le virage professionnel



Si l’édition 1979 du festival a connu une fois de plus un immense succès populaire, en coulisse les distensions se font de plus en plus grandes entre Jean Mardikian, l’un des fondateurs du salon et désormais dans l’opposition municipale, et Pierre Pascal, sa principale cheville ouvrière. Les deux hommes, qui ne partageaient pas les mêmes idées politiques, ne s’apprécient guère et le point de non retour est atteint.

« Durant les mois qui suivirent Angoulême 6, mes rapports avec Mardikian se détériorèrent. J’étais las de me déplacer dans le but de travailler et de n’entendre que des propos souvent incompréhensibles mais toujours malveillants sur la municipalité », écrit Pierre Pascal dans BD Passion (Les Dossiers d’Aquitaine, 1993). « Un jour j’en ai eu ras le bol. J’ai envoyé une lettre de démission à Groux avec copies à Boucheron et aux deux journaux locaux. Je peux dire qu’elle a fait du bruit. La Charente Libre titrait, sans peur du ridicule, « La bombe Pascal : à qui profite le crime ? » (…) Ma démission, bien exploitée par Boucheron, lui a permis de prendre la tête du salon, sinon toutes les commandes. »

Jean-Michel Boucheron (à gauche) se servira de la démission de Pierre Pascal pour prendre les commandes du salon. (Photo Patrick Lavaud)

Le maire d’Angoulême décide de faire prendre un virage à la manifestation. Si Francis Groux est toujours là, exit Jean Mardikian. Boucheron veut également donner une autre dimension au salon et un permanent, Olivier Charlot, est embauché au poste de directeur tandis que le cabinet parisien de relations publiques Infoplan est chargé de la communication. Les professionnels voient également apparaître pour la première fois une publication qui leur est spécifiquement destinée : le BD Bulletin où programme, informations pratiques et photos côtoient des publicités.

Angoulême se professionnalise et continue de grossir. Le chapiteau fait désormais 2.000 m2. On y trouve plus d’une centaine d’auteurs tandis qu’une soixantaine de journalistes a fait le déplacement. Du côté de l’affluence, on parle déjà de 50.000 visiteurs.

Le thème choisit cette année là est « Les sportifs dans la bande dessinée ». Amusant une année olympique où le boycott américain des jeux de Moscou prend une place importante dans l’actualité. « Hormis dans les ouvrages de Pellos et du Belge Reding, le sport était toujours présenté d’une manière grotesque. Gaston, par exemple, se perçait l’oreille en lançant le javelot. Je ne parle pas de la vision proposée par l’équipe de Charlie Hebdo », écrivait Pierre Pascal dans BD Passion.

Grand Prix en 1976, René Pellos fut présent régulièrement à Angoulême comme ici lors du festival 1982. (Photo Patrick Lavaud)

Il faut bien le reconnaître, ce thème n’a pas connu une grande réussite. On se souvient surtout de la belle affiche de Pellos, qui fête ses 80 ans et à qui la cérémonie officielle rend hommage. Un autre hommage est rendu à Robert Guichard, le conservateur du musée. Son départ en retraite cette année là est l’occasion de saluer son si précieux concours pour lancer et pérenniser le salon.

Et Monique Bussac, qui lui a succédé, débute sa prise de fonction par un petit scandale. Le musée accueille en 1980 une exposition sur la nouvelle BD hollandaise et la conservatrice a refusé l’accrochage d’une planche qu’elle juge dégradante pour la femme : on y voit une scène de viol. Les éditions Artefact crient au scandale. La planche en question est finalement exposée à l’hôtel de ville.

Autre polémique, l’attribution du prix du meilleur dessinateur à François Bourgeon pour Les Passagers du vent. Si le talent du Breton ne fait aucun doute, beaucoup s’interrogent sur la légitimité de ce prix, décerné à un album qui n’est pas encore sorti en librairie. Il avait simplement été prépublié dans Circus.

En revanche le Grand Prix, décerné au génial Fred fait l’unanimité. Et Le Grand Vingtième révèle une anecdote amusante à ce sujet : « Fred « un peu perdu, pas en forme », absent du salon, apprend par la radio qu’il est Grand Prix d’Angoulême. Georges Dargaud, présent en Charente, lui envoie un télégramme : « Cher ami, quel honneur pour la maison que vous ayez le prix alors que je suis à Angoulême. » Réponse de l’intéressé par la même voie : « Cher ami, quel honneur pour moi de recevoir ce prix alors que je ne suis pas à Angoulême. » »

Les portes d’Angoulême 7 se ferment dans la bonne humeur. Mais un nouveau coup de théâtre survint trois jours plus tard : Francis Groux démissionne. L’avenir est une fois de plus incertain.

  • Le palmarès 1980
  • Grand Prix : Fred (Othon Aristidès)
  • Meilleur dessinateur : François Bourgeon
  • Meilleur scénariste : Jean-Claude Forest
  • Espoir de la BD : Marc Wasterlain (Belgique)
  • Promotion de la BD : «Découverte du monde» (éditions Larousse)
  • Le jury 1980
  • Cinq journalistes : Robert Escarpit (Le Monde), Max Dejour (Charente-Libre), Pierre Lebedel (Le Figaro), Jean-Paul Morel (Le Matin), Pierre Veilletet (Sud-Ouest)
  • Un journaliste radio : Claude Villers (France-Inter)
  • Le rédacteur en chef de BD Bulle : Pierre Pascal
  • Le maire : Jean-Michel Boucheron
  • Un jeune dessinateur : Thierry Lagarde
  • Un spécialiste : François Pierre
  • Le conservateur du musée : Monique Busac
  • Le directeur du salon : Francis Groux
  • Un professeur de dessin : Dominique Bréchoteau
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À propos de Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à La Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers et passionné de bande dessinée. Auteur de plusieurs livres sur ce sujet (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires, il est également commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles…) et coordinateur des concerts de dessins pour le festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Sur twitter: @_NicolasAlbert
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