Case Départ raconte Angoulême : 1977, la visite du roi Hergé et l’accident de la bulle



1977 marque assurément un tournant dans le développement du salon. Si le succès avait bien été au rendez-vous lors des précédentes éditions, Angoulême prend une autre dimension en accueillant un invité de marque : Hergé. Le père de Tintin, dont l’album les Picaros vient juste de sortir, donne par sa présence une toute autre légitimité à la manifestation charentaise.

Ce samedi 22 janvier, la foule est nombreuse pour accueillir Hergé. Quel événement ! Tel un chef d’état, le créateur du plus célèbre des reporters, celui-là même que le Général de Gaulle considérait comme son seul rival, remonte la rue Marengo aux côtés de Louis Gérard, le patron des éditions Casterman et des responsables du salon, Francis Groux et Jean Mardikian.

Si Hergé a fait le déplacement en Charente, c’est avant tout grâce Louis Gérard qui a toujours entretenu de bonnes relations avec le salon. Le patron des éditions Casterman a pesé de tout son poids pour rendre possible la venue du maître. « La venue d’Hergé a donné une crédibilité à Angoulême. Il sera désormais LE salon : dès sa quatrième année d’existence, c’est pas mal », révélait-il en 1994 dans le Grand Vingtième où il dévoilait également une anecdote amusante: « J’avais demandé à Francis Groux de me faire un courrier car Hergé prenait toujours son temps pour accepter un déplacement. Il fallait toujours argumenter, justifier. Il disait oui, mais c’était long. La lettre arrive : je la regarde. Il y avait une terrible faute de frappe. Cette invitation pour Angoulême commençait par : cher monsieur Ergé… »

Bien des années plus tard, vingt-six précisément, en 2003, la fameuse rue Marengo sera rebaptisée « Hergé » par le prince et la princesse de Belgique en personne et le buste en bronze à l’effigie du maître, sculpté par son ami Tchang Tchong Jen (le Tchang du Lotus bleu et de Tintin au Tibet) sera installé en bonne place dans cette artère piétonne. Mais restons en 1977.

Tintin est roi. Et si la critique n’apprécie pas les Picaros, Angoulême a le sourire grâce au plus célèbre des héros de papier. Elle fait même d’Hergé un citoyen d’honneur alors que le musée accueille l’exposition qui lui est consacrée. Rien n’est trop beau pour le maître. L’événement est de taille et les organisateurs ont mis les petits plats dans les grands. D’une manière symbolique, l’affiche du salon n’est plus en noir et blanc mais en couleur. On y voit Tintin, Milou, Haddock et Tournesol courant dans la jungle amazonienne.

Collector rapporté par l'envoyé spécial de la NR à Angoulême en 1977. Un dessin réalisé spécialement par Jacques Tardi pour les lecteurs de la Nouvelle République. Adèle Blanc-Sec est née l'année précédente...

Hergé règne sur le salon. Il inaugure la galerie Saint-Ogan, ancêtre du musée de la BD, où sont exposées les planches originales offertes par les auteurs. Il croise également Wolinski, dont il apprécie le travail. Et l’échange reste un brin irrévérencieux de la part du patron de Charlie envers le maître. « Ma fille a lu tous vos albums, elle vous aime beaucoup… Elle a trois ans », lance Wolinski avant d’ajouter que « Tintin est un héros d’un autre âge. » Réponse d’Hergé: « Il y a Rembrandt et Picasso. Il est normal que la bande dessinée évolue. »

Rien à ajouter. Cette visite du roi des dessinateurs est une réussite. Et pourtant, les organisateurs ont connu beaucoup de sueurs froides pour que cette édition voie le jour. Pire, le jeudi 20 janvier, c’est à dire la veille de l’ouverture au public, c’est même la catastrophe : le fameux chapiteau gonflable, dont la taille a été rallongée pour accueillir les 50.000 visiteurs attendus, donne des signes inquiétant face aux bourrasques de vent. A 12h, la toile s’est déchirée. Et pour éviter que le vent fasse des ravages et que la toile devienne incontrôlable, il est décidé de déchirer totalement la bulle… Le salon est à plat. Comment rebondir en un temps record ? Où déménager les 10.000 mètres carrés de stands abrités par le chapiteau ?

Le parking souterrain de la place Bouillaud fera l’affaire. Les équipes techniques de la mairie se mettent à l’ouvrage, sciant les hauts des stands pour qu’ils tiennent dans le sous-sol et le transfert commence… Mais à 19h, la commission de sécurité rejette cette option. Nouveau coup de tonnerre. Cette fois, cela semble bien être l’annulation du salon… Non ! Rémy Berger, l’un des responsables des services techniques de la mairie, trouve la solution miracle : « Comme j’étais responsable de la section tennis de table, j’ai appelé les clubs qui jouaient en championnat ce week-end là pour faire annuler les rencontres. C’est comme cela que j’ai obtenu la possibilité de faire transférer le salon à Ma Campagne. »

Ma Campagne, un des quartiers d’Angoulême dont le gymnase va être la solution de replis efficace. Une quarantaine de personnes s’active toute la nuit et le vendredi matin à 8h, le miracle a eu lieu. Tout est prêt, les bus de l’entreprise Robin font alors la liaison de 4 km entre le centre-ville et ce fameux gymnase. Et comme toujours, le public répond présent.

Wallace Wood dû redessiner les quatre planches du Roi du Monde volées à Angoulême pour que l'album voit le jour l'année suivante aux éditions du Triton.

Mais d’autres rebondissements ont lieu : l’évacuation de la mairie suite à un canular téléphonique où les « brigades révolutionnaires » annoncent que « l’hotel de ville va sauter », la panne de courant et finalement l’annulation du diaporama de Claude Moliterni lors du diner rencontre entre public et professionnels dans un hangar glacial sur la zone industrielle n°3, ou encore le vol de quatre planches originales du Roi du monde de Wallace Wood, le créateur de Sally Forth.

Présent à Angoulême, l’auteur fondit en larmes. Et pour cause : il n’existait pas de copie de ces planches et il n’était pas sûr d’arriver à les redessiner. Il y parvint cependant et l’album parut l’année suivante. Et puis clin d’œil du destin, il se consola avec le prix 77 du dessinateur étranger.

Mais toutes ses péripéties ont été vite oubliées. Car ce que tout le monde avait retenu, c’est la venue d’Hergé. Un grand moment. L’avenir s’annonçait radieux pour le salon… Mais quelques nuages électoraux commençaient à venir troubler ce beau ciel bleu. Les élections municipales de 1977 risquaient bien de tout changer…

  • Le palmarès 1977
  • Grand Prix : Joseph Gillain, dit Jijé
  • Dessinateur francais : Jean Giraud Moebius
  • Scénariste français : Jacques Lob
  • Dessinateur étranger : Wallace Wood
  • Scénariste étranger : Jan F.M. Willy Vandersteen (Belgique)
  • Espoir de la BD : Régis Franc
  • Œuvre réaliste française : Casque d’or par Annie Goetzinger (éditions Jacques Glénat)
  • Oeuvre comique française : Le baron noir par Yves Got et René Pétillon (éditions Yves Got)
  • Oeuvre réaliste étrangère : Les indiens par Hans Kresse, Hollande (éditions Casterman)
  • Oeuvre comique étrangère : Andy Capp : si c’est pas pire, ça ira ! par Reg Smythe, Grande-Bretagne (éditions Sagédition)
  • Prix promotion de la BD : Gérard Jourd’hui (producteur TF1)
  • Le jury 1977
  • Un journaliste : Pierre Veilletet (Sud-Ouest)
  • Un professeur de dessin : Dominique Bréchoteau
  • Un représentant de la ville : Jean Mardikian
  • Le directeur du salon : Francis Groux
  • Deux amateurs : François Pierre et Pierre Pascal
  • Un jeune dessinateur : Thierry Lagarde

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À propos de Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à La Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers et passionné de bande dessinée. Auteur de plusieurs livres sur ce sujet (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires, il est également commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles…) et coordinateur des concerts de dessins pour le festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Sur twitter: @_NicolasAlbert
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