Case Départ raconte Angoulême: 1976, l’apparition de BD Bulle et un débat passionné



C’est sous une belle affiche d’un dessin de Jean Giraud tiré de Blueberry que s’ouvre le troisième salon international. Le chapiteau étrenné l’année précédente ayant connu un succès, les organisateurs décident de renouveler l’opération pour accueillir un public que l’on attend encore plus nombreux.

Mais cette fois-ci, la « bulle » possède une forme différente puisqu’il s’agit d’une structure gonflable de 600 m2. Cela en impose même si, pour des contraintes techniques, ce chapiteau ne fait pas l’unanimité au sein de l’équipe d’organisation comme le soulignera Pierre Pascal dans son autobiographie BD Passion, parue aux Dossiers d’Aquitaine en 1993:  « Je n’appréciais pas un système de sas qui freinait considérablement les entrées et les sorties. Le seul intérêt était e nom de Bulle, bien adapté à la bande dessinée et qui est resté pour désigner les lieux accueillants les stands. »

Outre cette fameuse bulle où les visiteurs se pressent en masse, 1976 est également l’année d’autres innovations. Sur le plan patrimonial tout d’abord, les dessinateurs commencent à offrir aux organisateurs des originaux conservés au musée d’Angoulême. Ils intègreront bien des années plus tard le CNBDI lorsque celui-ci sera inauguré. « Dans mon esprit, cette collection d’originaux s’inscrivait dans un ensemble qui devait assurer la durée, la continuité d’Angoulême », témoignait Pierre Pascal dans BD Passion.

Le Bordelais fait également partie des fondateurs de BD Bulle, une publication qui va devenir incontournable, jusqu’à son départ pour Grenoble en 1988. Le directeur de publication est Francis Groux, directeur du salon, et le rédacteur en chef Pierre Pascal dont le restaurant, cours Alsace-Lorraine à Bordeaux, sert d’adresse de la rédaction tandis qu’une adresse administrative est mentionnée à Angoulême. Cela fait son petit effet!

Sous une couverture déclinant le dessin de Giraud en rouge et noir, ce premier numéro de 56 pages mêle rétrospectives, articles de fond et surtout grands moments de l’édition actuelle. Une sorte de programme amélioré. Mieux, une bible pour les fans dont voici le sommaire de ce numéro de 1976: éditorial, les prix d’Angoulême 1 et Angoulême 2, rétrospective photos Angoulême 1 et Angoulême 2, hommage à Alain Saint-Ogan et Vaughn Bode, le comité directeur d’Angoulême 3, le métier de la BD par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, la reproduction d’une planche du Corbeau déchainé, Poirier, Derib, Idéologie et bande dessinée par Michel Pierre, Tibet-Martin, Wolinski, De Fiction 93 à Angoulême 3 par Francis Pierre et Pierre Pascal, Gordon Bess, Gillain, Peinture et bande dessinée, Forest-Gillon, Sacré Pellos, Rob-Vel, Poïvet, Gotlib, Tardi, la BD Algérienne, le forçat de la bande dessinée Marcello, 10 ans d’histoire Socerlid, Mic Delinx, la BD du lauréat du concours scolaire d’Angoulême 2, remerciements à Lucca et à Angoulême.

Le tout agrémenté de nombreux dessins, comme par exemple cette planche où Tardi réalise son autobiographie.

Le débat « Le dessinateur face à son public » donne lieu à un affrontement marquant entre les anciens comme Pellos, Marijac et Rob-Vel et les modernes que sont Mandryka, Gotlib (qui viennent de lancer L’Echo des Savanes avec Brétécher) et Giraud (qui a lancé l’année précédente le mythique Métal Hurlant avec Dionnet et Druillet) avec un Joseph Gillain (Jijé) coincé entre les deux générations. Jean Giraud lançait les hostilités en déclarant: « Mes camarades et moi, nous nous sommes apperçus que nous nous endormions un peu chez les éditeurs, dans une espèce de sécurité un peu illusoire, et que le meilleur moyen de vivre complètement la création de l’artiste à l’heure actuelle, c’était d’être maître des moyens de production et également de distribution. »

Très vite, le débat tourna a une opposition « entre les défenseurs de la bande dessinée pour la jeunesse et ceux qui voulaient enfoncer la barrière du puritanisme! Alors il ne fut plus question que de sexe, et bien entendu, de protection de la jeunesse », racontait Pierre Pascal, toujours dans BD Passion en résumant l’incident: « Les deux générations ne parlaient pas a même chose. Il aurait été préférable d’évoquer la complémentarité plutôt que l’opposition entre la BD enfants et la BD adulte, et de rappeler que Gotlib et Giraud avaient débuta dans des journaux jeunes. Il aurait fallu dire, car personne ne l’a dit, car personne ne le ressentait vraiment, que le danger ne venait pas de Gotlib, époustouflant en pornographe-scatologue, ni de Moebius, superbe en dessinateur sans scénario, mais des suiveurs, des imitateurs qui allaient sévir et sévir encore, sans être ni superbes ni époustouflants. (…) La discussion tourna à la gaudriole, le public qui en rajoutait, était ravi. »

Grand Prix en 1976, René Pellos fut présent régulièrement à Angoulême comme ici lors du festival 1982. (Photo Patrick Lavaud)

Il l’est également de côtoyer de grands auteurs ayant fait le déplacement parfois de très loin, comme les Américains Gordon Bess (auteur de La Tribu terrible) venu du Texas, Richard Corben ou les Italiens Hugo Pratt et Guido Buzzeli. Le Grand Prix est décerné à René Pellos, alors âgé de 76 ans. Il est la tête d’affiche d’un palmarès à la fois novateur et rétrospectivement très pertinent.

Et comme les deux années précédentes, cette troisième édition est un succès. Le salon grandit et se structure,  prenant son indépendance vis à vis de Lucca, notamment dans la constitution du jury, et de la mairie en passant en association au cours de l’année 1976. Les élections municipales approchent à grands pas et la bande dessinée pourrait indirectement en subir les conséquences.

  • Le palmarès 1976
  • Grand Prix : Pellos (René Pellarin)
  • Dessinateur francais : André Cheret
  • Scénariste français : Pierre Christin
  • Dessinateur étranger : Richard Vance Corben (USA)
  • Scénariste étranger : Raoul Cauvin (Belgique)
  • Espoir de la BD : Jean-Claude Gal
  • Prix promotion de la BD : L’encyclopédie de la BD (deux tomes publiés) par Pierre Couperie, Henri Filippini, Claude Moliterni, éditions SERG (Pierre Cottereau)
  • Œuvre réaliste française : L’empire des soleils noirs par Christian Godard, Julio Ribera (éditions Hachette)
  • Oeuvre comique française : Gai luron en écrase méchamment par Marcel Gotlib (éditions Audie)
  • Œuvre réaliste étrangère : La Ballade de la mer salée (Una ballata del mare salato) par Hugo Pratt (éditions Casterman)
  • Œuvre comique étrangère : La tribu terrible (Redeye) par Gordon Bess (USA), editions du Lombard

  • Le jury 1976
  • (rompt avec la filiation internationale)
  • Deux journalistes : Pierre Lebedel (Le Figaro) et Pierre Veilletet (Sud-Ouest)
  • Un producteur de radio : Claude Villers (France-Inter)
  • Un professeur de dessin : Dominique Bréchoteau
  • Le directeur du salon : Francis Groux
  • Un représentant de la ville : Jean Mardikian
  • Deux amateurs : François Pierre et Pierre Pascal
  • Un jeune dessinateur : Thierry Lagarde
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À propos de Nicolas Albert

Nicolas Albert est journaliste à La Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers et passionné de bande dessinée. Auteur de plusieurs livres sur ce sujet (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires, il est également commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles…) et coordinateur des concerts de dessins pour le festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Sur twitter: @_NicolasAlbert
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