Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 13 Hans Kresse, l’homme du Nord qui était aussi le chantre des Peaux-Rouges



L’auteur à sa table à dessin. Hans Kresse avait l’allure sévère d’un prof ou d’un pasteur. Et sa rigueur passait dans la précision de son travail. (Photo copyright Libema)

Janvier 1977. Tempête sur Angoulême. La bulle installée en centre-ville par les services techniques s’effondre. Il faut trouver une solution de repli. Ce sera le gymnase de Ma Campagne, à la sortie de la capitale charentaise. Mais le souvenir de cette année, ce sera le sourire rayonnant d’un certain Hergé descendant une rue qui ne porte pas encore son nom : l’affiche du festival, quatrième du nom, contribue au lancement de Tintin chez les Picaros.

Les festivaliers respirent. Le cru sera bon, voire historique (ça, on le jugera plus tard avec Pratt, Tardi et Jacques Martin en guest stars !) et l’ambiance dans un lieu pourtant glacial, étonnement festive.

La série des Peaux-Rouges (certains titres cotent aujourd’hui une quarantaine d’euros, dixit le BDM). La vie ou plutôt la mort des Faraondes, exterminés par les Conquistadors espagnols. Neuf titres chez Casterman. (Hans Kresse/Ed. Casterman)

On oubliera cependant que parmi les Alfred remis cette année-là (c’est quand même super, cet hommage à Saint-Ogan, non ?), celui récompensant le meilleur album ira à un dessinateur étranger, qui lui aussi, comme George Rémi, a été scout : un dénommé Hans Georg Kresse, néerlandais et auteur d’une série magnifique publiée chez Casterman, Les Peaux-Rouges.

Ce qu’on sait encore moins, c’est que plus de vingt ans auparavant, le Hans Kresse en question avait déjà publié en France, dans la presse française, un western (c’est pas vraiment le nom qu’on peut donner à son œuvre, mais bon, va pour western puisqu’il y ait question d’Indiens et de cow-boys). Et où donc en France, se demandent inquiets, les internautes de Case Départ ?

Bingo ! Dans la Nouvelle République du Centre-Ouest, of course ! Une fois encore, voilà qui vaut le détour.

L’histoire

Dans le Coin des Jeunes, alors que le Tour de France voit le triomphe de Bobet à l’Isoard, démarre un western à l’américaine : débarquement du jeune héros d’un bateau à aubes.

Matho-Tonga (23 juillet 1953 – 14 octobre 1954)

Ce cher M. de Zwaan (son nom signifie « cygne » en français) avait ses habitudes. Il démarchait les quotidiens régionaux français pour le compte des studios Toonder toujours en été, pendant ses vacances, peut-être.

C’est en juillet 1950 qu’il va se promener de Nantes à Tours pour faire entrer Tom Pouce et M. Bommel dans les colonnes du Courrier de l’Ouest et de la NRCO. C’est en juillet 1953 qu’il va revenir avec dans ses bagages une histoire de cow-boys, Matho-Tonga.  A cette époque, Jon de Swaan commence à être en rupture de ban avec Marten Toonder. Le copyright de la bande de Hans Kresse est toujours celui des studios d’Amsterdam mais bientôt la signature Swan Features Company le remplacera.

Gros plan sur la fenêtre de titre. On distingue nettement la signature du copyright des studios Toonder. M. de Swaan n’est pas encore à son compte.

La même, en 1948 dans le journal hollandais Ons Vriej Nederland. Matho-Tonga sera aussi publié dans d’autres revues néerlandaises comme PEP dans les années 1970.

Le western est à la mode. Le train sifflera trois fois, Fort Bravo, La flèche brisée sont sur tous les grands écrans. Dans les pages de la Nouvelle République, celle du jeudi désormais ghettoisée « le Coin des jeunes », cette arrivée fracassante est une révolution. C’est la première vraie bande dessinée au sens moderne du terme. Même si, mais c’est un choix de son auteur, le texte est encore sous l’image.

Deux parties seront nécessaires à Hans Kresse pour raconter l’histoire du « Dernier des Mandans ». Grâce à son extraordinaire documentation et son sens du détail, le dessinateur batave sait que les Mandans sont une très vieille tribu indienne vivant sur le territoire du Dakota du Nord (et un peu du Sud), le long du fleuve Missouri. La légende veut qu’ils aient peut-être même rencontrés (où ???) les découvreurs vikings. Mode de vie, langage, habitat, culture : les Mandans sont des archétypes de ces tribus- dites de Peaux-Rouges – hautement civilisées que l’homme blanc – et la petite variole – vont décimer. A la fin du dix-neuvième siècle, ils ne seront plus qu’une petite centaine de survivants.

Belle scène de western traditionnel avec les bons et les méchants, le patron de bar qui fait régner la loi.

Premier acte de ce scénario où un jeune et fringant cow-boy va découvrir la rude réalité de l’ouest sauvage (Damned !) jusqu’en novembre 1953, avec une fin d’épisode très grand style hollywoodien ; puis un second acte plus long, presque une année complète avec, également, cette sensation cinématographique très réussie.

10 novembre 1953 : les adieux entre cow-boys sont virils mais enfin, snif, snif, et la caravane s’éloigne. Fin du premier épisode.

12 novembre 1953 : c’est reparti pour un an. Superbe carte de la région où Hans Kresse situe son action. Si les textes sont traduits fort correctement, on remarquera sur la carte une indication qui est demeurée en néerlandais (« naar Saint-Louis »).

Gros plan sur la dernière case et le mot « fin ». Kresse a vraiment une maîtrise cinématographique de l’espace dessiné.

 

Mais à la Nouvelle République, grâce au passage du grand chef Mandan (qui n’est pas Mohican), on va apprécier cette incursion made in America. Et en octobre 1954, quand Matho-Tonga tire sa dernière flèche, il sera immédiatement remplacé par un autre western, plus classique, celui-là, le Hopalong Cassidy de Dan Spiegle.

Bien entendu, oncle Erwann, etc, etc…

Voilà la dernière planche de Matho-Tonga dans la Nouvelle République. Un an et demi passé en compagnie de l’un des maîtres de la BD batave… mais personne ne le sait encore.

« Le dernier des Mandans », version hollandaise, publié en albums chez Oberon en 1977

L’auteur

Le chef dans toute sa splendeur et sa parure de plumes. Désolé, l’illustration n’est pas de très bonne qualité.

Hans Georg Kresse (1921-1992)

L’épisode d’Angoulême ne va pas éclairer vraiment le public français. La série des Peaux-Rouges éditée chez Casterman entre 1974 et 1982 et le Vidocq (également chez Casterman) en 1977 n’auront qu’une résonance éphèmère. Kresse est un auteur pratiquement inconnu du grand public dans l’hexagone. Une des encyclopédies de référence explique cette méconnaissance par le caractère « ennuyeux » de ces BD très (trop ?) documentées.

Il est pourtant considéré chez lui, aux Pays Bas, comme l’un des maîtres du neuvième art. Un musée lui est même consacré à Gouda qui a ouvert ses portes en mai 2010 (d’accord, c’est très récent). Et une revue d’études spécialisées n’a été consacrée qu’à son travail.

En revanche, celle-là est superbe. Elle est signée de la nouvelle maison de Kresse, celle de Jons de Swaan.

Décidément, cette pose d’un chef indien, Hans Kresse devait l’aimer beaucoup. Outre qu’elle sert de « gimmick » à la BD hebdomadaire dans la NRCO, c’est aussi une peinture que l’on retrouve au musée Kresse à Gouda.

Même précision, même allure dans les albums de chez Casterman. (Hans Kresse/Ed. Casterman)

Dès le 14 octobre 1954, la NR annonce son prochain western, Hopalong Cassidy. Qui l’a choisi ? Curiosité : à la même époque, le magazine danois Konk Kylie va publier en même temps (de 1950 à 1955) les aventures de Matho-Tonga ET de Hopalong Cassidy. Coïncidence ? Autre remarque : c’est d’aventure illustrée dont il s’agit, pas de bande dessinée !!!

Car pour les amateurs du pays des polders, Kresse, c’est d’abord une œuvre : Eric, l’homme du Nord (Eric, de Norman), BD culte, un poil inspirée du personnage wagnérien de Siegfried et du trait de l’Américain Harold Foster (Prince Valiant… que la Nouvelle République publiera, mais oui, mais oui !!!). Un héros blond, viril, parcourant le monde d’aventures en aventures parfois très réalistes, parfois très futuristes, parfois très irrationnelles.

Une édition de 1948 des aventures d’Eric l’homme du Nord publiée d’abord dans un journal belge de langue flamande.

Imaginée par Marten Toonder himself puis lancée par les studios qui ont récupéré Kresse après des années de guerre disons… compliquées, la bande sera d’abord publiée en Belgique en 1946 puis en Hollande en 1947. Il faudra attendre 1988 pour que les phylactères fassent leur apparition dans cette histoire ainsi que la couleur. En fait, après le principal héros, Eric, c’est en 1964, son fils Erwin qui prendra la place dans une série mainte et mainte fois réimprimée en Hollande et comptera quatre albums en France édités chez Rossel sur le thème de la découverte de l’Atlantide.

La similitude entre le Prince Valiant de Foster (Prince Vaillant en français et dans la NRCO) et le blond viking de Kresse est frappante.

Si elles sont oubliées aujourd’hui, ces bandes dessinées signées Hans Kresse ont pourtant fait les belles heures des pages de grands journaux régionaux dans les années 1950.

Matho-Tonga sera publié dans la Nouvelle République donc et Ouest France. Lequel, comme le Courrier de l’Ouest s’attachera aussi les services d’Eric, l’homme du Nord.

Finalement entre Nantes, Tours et Rennes, le très chic et très distingué M. de Swaan aura passé des vacances très utilitaires.

Version française en format à l’italienne publiée chez Rossel.

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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Une réponse à Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 13 Hans Kresse, l’homme du Nord qui était aussi le chantre des Peaux-Rouges

  1. Le nom « Jon de Swaan » est Anton (Ton) de Zwaan (Swan Features Syndicate).

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