Histoire de la BD dans la Nouvelle République : acte 5 Le petit canard, un coup de jeune



Jacques Faizant pour Noël ; Poléon pour la Chandeleur : superbe page Une de février 1949

L’histoire

Les strips muets se sont installés dans les colonnes de la NR. Le quotidien du Centre-Ouest s’étoffe, sa pagination aussi. Un studio Dessin dirigé par un maître du genre, Emile Jacquemin va bientôt imposer des bandes dessinées verticales. En attendant, les services commerciaux de la NR se sont, comme quelques quotidiens de province vont le faire, « mariés » avec les éditions de l’heddomadaire Bonjour Dimanche  qui diffuse un supplément Jeunesse intitulé Le petit canard. Il va exister deux séries de ce magazine BD : l’une allant du 9 juin 1946 au 25 novembre 1948 (129 numéros) ; l’autre du 2 décembre 1948 à août 1949 (32 numéros) dont le nom change légèrement devenant Le petit canard pour les jeunes.

En bas du dessin à droite, la signature de Poleon, le dessinateur qui racontait aussi les aventures du petit Canard en BD avec des bulles. Les phylactères commencent leur longue carrière.

C’est cette seconde série (qui passera de huit à douze pages) que va publier immédiatement et intégralement la Nouvelle République toutes les semaines pendant neuf mois. Inutile d’aller fouiller dans les vieilles malles du grenier de grand-mère : les cotes du BDM (1) sont décourageantes. Deux euros l’exemplaire sur le marché de l’antiquité BD, c’est pas cher payé. Et pourtant, ce supplément, mazette, quel journal !

Les auteurs

Commençons par le commencement. Et par Jean Nohain. Késacko Jean Nohain ? demandent en chœur, Nicolas, Samy et Thierry, la Dream Team de Case Départ. Réponse d’Onc’ Erwann.

Changements à la Une du Petit Canard entre le n°13 et le n°14 : le nom de Jaboune apparaît d’abord tout seul en haut à droite, puis arrive le fameux sens interdit (Interdit aux grandes personnes) qui sera désormais la marque de fabrique de l’hebdo.

Jean-Marie Legrand, dit Jean Nohain, dit Jaboune (1900-1981). Avant Nikos Aliagas, avant Guy Lux, avant Jacques Martin, il y a eu Jean Nohain. Animateur radio puis télé (l’émission de variétés Les 36 chandelles), bateleur, découvreur de Fernand Raynaud (comique), parolier de Mireille (chanteuse), symbole des années soixante et de la France « merveilleuse » des trente Glorieuses, il est resté célèbre pour sa bonne bouille et ses expressions du style « bien de chez nous ».

Mais Jean Nohain a été aussi écrivain de livres pour la jeunesse et éditeur avant-guerre de l’hebdomadaire de BD, Benjamin – qu’il avait fondé – dans lequel vont travailler entre autres Alain Saint-Ogan avec Zig et Puce et notre ami Erik. Benjamin est d’ailleurs considéré comme l’ancêtre de Cœurs Vaillants. Grosse activité BD pour Jean Nohain donc, également éditeur, après guerre donc, de ce Bonjour Dimanche dont la NR va publier le supplément pour les jeunes lecteurs. Son nom apparaît d’ailleurs sur la page Une de l’hebdo tamponné Nouvelle République : rédacteur en chef, Jaboune.

Jaboune ne détestait pas se mettre en scène. Ici avec deux gamins à la radio. A l’époque Jean Nohain, que les téléspectateurs des années 60 ont connu parfaitement chauve avait encore quelques poils sur le caillou.

La couverture du Totorix de Jaboune et Poléon édité par Calmann-Lévy en 1952.

Louis Lempereur dit… Poléon (of course !). Superbegraphiste au style rond présent en page Une du Petit Canard (dont il dessine les aventures). Avec son complice Jean Nohain, il est surtout connu (des spécialistes !) pour avoir crée, notamment dans les colonnes du Petit Canard, puis en album chez Calmann-Lévy en 1952, Les aventures de Totorix le petit Gaulois. L’une des premières s’intitulait : « Les Romains seraient-ils les plus forts ? » Par Toutatis ! Suivez mon regard : la légende dit qu’il n’est pas impossible que le Totorix en question ait inspiré un certain Astérix, quelques années plus tard. Décidément, la BD dans la NR mène à tout. Et ce n’est pas fini !

Si le colonel Broum avait les honneurs de la dernière page dans on intégralité, Faizant donnait aussi dans le strip en quelques images à l’intérieur avec son Monsieur Pluche.

Jacques Faizant (1918-2006). Repéré par Jean Nohain (décidément !) quand il avait quinze ans, celui qui deviendra le caricaturiste le plus célèbre du général de Gaulle et de Marianne à la Une du Figaro, a commencé sa carrière comme dessinateur de BD dans Le Petit Canard en 1946. Eh oui ! En dernière page de l’hebdomadaire, (même s’il a illustré quelques pages Unes comme celle de Noël 1947), il avait implanté son héros, le Colonel Broume (et ses amis Boudoche et Patapoum) avant de tirer sa révérence dans le n°39 de juin 1949.

Et voilà la première bande dessinée signée Jacques Faizant. Humour très british mais style déjà reconnaissable.

Clap de fin pour le colonel et ses jeunes amis. Jacques Faizant va rapidement quitter la BD pour le dessin de presse et lancer son Adam et Eve dès 1949 dans France Dimanche.

Martial et son marin au nez rouge.

Parmi les autres dessinateurs du titre, quelques stars du crayon dont Joseph Pinchon (l’immortel dessinateur d’une héroïne nommée Anaïck Labornez dite… Bécassine), ou Martial Durand dit Martial au style proche de celui de Dubout et qui dans Le Petit Canard va créer un Tafia le marin, et un éphémère Professeur Molluse accompagné de Burett le robot. Les dessinateurs aiment bien les professeurs à cette époque…

Son professeur n’a pas laissé de traces impérissables dans l’histoire de la BD alors que Sylvie, l’héroïne du magazine féminin Bonnes Soirées a vécu plus de quarante ans…

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, cerise sur un gâteau déjà copieux, la présence dans l’hebdomadaire de Jaboune, du fils de Lariflette, mais oui. Daniel Laborne, qui a crée le brave bonhomme en polo de marin en 1939 (et en dessinera plus de 10.000 planches jusqu’en 1988 !), lui avait donné un rejeton : Tatave, fils de Lariflette qui ne sera présent que dans les pages du Petit Canard pour les jeunes, deuxième série, donc celle qu’ont donc pu dévorer les petits lecteurs de la Nouvelle République de mars à juillet 1949. Incroyable !

Voilà l’un des bandes de Tatave publiée en 1949 dans Le Petit Canard. Son papa est l’un des symboles les plus évidents de la longévité des BD populaires dans la presse quotidienne régionale.

(1) BDM, l’argus officiel de la BD (Michel Bera, Michel Denni, Philippe Mellot. Aux éditions de l’Amateur)

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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5 réponses à Histoire de la BD dans la Nouvelle République : acte 5 Le petit canard, un coup de jeune

  1. Et dire qu’à une époque, PQR avait un supplément BD… Je suis né trop tard !

    Ceci dit, avec Jacques Faizant dedans … Pas trop ma tasse de thé :D

  2. Ping : Histoire de la BD dans la Nouvelle République du CO: joyeuses fêtes | Case Départ

  3. Ping : Les belles vacances de l’Oncle Erwann: Jaboune et Le Petit Canard | Case Départ

  4. Nono Billy dit :

    Une très belle découverte ce Petit Canard. Dommage en effet que la presse BD, et la BD dans la presse, soient disparues.
    Ce blog est un régal.

  5. marical gilbert dit :

    supplement de bonjour dimanche,le petit canard avec que des illustrateurs dessinateurs tous disparus de st ogan faizant j p pinchon etc ,j’avais 4 ans et je decouvre au hasard d’un vide grenier cette bd que je n’avais jamais entendu parler malheureusement incomplet mais que du bonheur

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