Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 9A 1950, l’arrivée en fanfare de Tom Pouce



« Les aventure de Tom Pouce, c’est avant tout la vie de la grande famille humaine » : c’est ainsi que le Centre belge de la Bande dessinée de Bruxelles annonce l’année Toonder. Les festivités vont démarrer dans un mois, le 7 février exactement avec une grande expo qui va durer jusqu’au 23 septembre. Pourquoi l’année Toonder ? Parce que le génial créateur de Tom Pouce est né, il y a tout juste cent ans, en 1912 et qu’il était temps qu’un hommage un peu grandiose soit rendu à ce dessinateur hollandais aussi important pour le 9e art qu’a pu être Walt Disney et auquel il n’est pas anormal de le comparer, à l’échelle de l’Europe, bien entendu.

Il se trouve – le hasard fait bien les choses – que dans sa chronologie de la bande dessinée dans la Nouvelle République, l’heure est venue, pour l’oncle Erwann, de s’attarder sur Marten Toonder et sur Tom Pouce. Son petit chat blanc va devenir, pendant vingt-sept ans, avec son compagnon en gilet à carreaux, l’ours Ollie Bommel, le rendez-vous quotidien des lecteurs de la NRCO !

L’histoire (25 mai 1950-3 mars 1977)

Etonnante la formule pour un journal qui le premier a utilisé les mots bande dessinée : « Voyez la gravure » dit la pub NR imaginant un récit d’ « historiographe » à venir. Il va durer longtemps, le récit !

De l’étrange M. de Zwaan, même les sites néerlandais de BD disent peu de choses. Il était, dans les années 1950, l’agent commercial d’un studio de production dirigé, depuis Amsterdam, par un dessinateur exceptionnel, star aux Pays-Bas, inconnu en Europe, nommé Marten Toonder. M. de Zwaan va sillonner la France et va « vendre » à trois quotidiens régionaux, la bande vedette des studios, Tom Pouce et M. Bommel : La Résistance de l’Ouest (qui va devenir Presse-Océan) d’abord ; puis La Nouvelle République du Centre-Ouest et enfin le Courrier Picard vont publier longtemps, très longtemps, cette fable animalière, sans phylactères, qui tient à la fois d’Esope, de La Fontaine, des contes de Perrault, et de la vie de tous les jours.

Classique : en page Une, une première annonce pour lancer la nouvelle bande dessinée à venir.

Trente ans pour Presse-O. ; vingt-sept ans pour la NRCO ; et vingt-quatre ans pour le journal picard. Quant aux liens qui permettront à M. de Zwaan, décrit comme un gentleman blond et très distingué, de frapper aux portes de titres de province pour leur fournir un matériel from Holland jusqu’alors inédit, cela demeure un mystère. Une grande fraternité humaniste, estimeront certains.

Quoiqu’il en soit, quand ce commercial avisé fondera sa propre société, Swan Features Syndicate, pour diffuser les œuvres de ses poulains, comme Hans Kresse ou Piet Wijn, la Nouvelle République continuera à en publier. Mais ceci est une autre histoire. Oncle Erwann en reparlera.

Mai 1950 : cinq ans après la fin de la guerre, les exploits des combattants font toujours rêver. Ici, dessinée par Maurice Parent, les aventures du commandant Mouchotte, héros de l’aviation de chasse.

Après deux placards publicitaires, et faisant place à une BD historico-gaullisto-bien comme il faut, voici qu’au printemps 1950 débarquent, en grande discussion au pied d’un muret, avec en fond, le château de Bommelstein, un ours fumant la pipe et un petit chat blanc. Le strip porte le n°366. Le titre en est tout simple : Les étonnantes tribulations de Tom Pouce, le petit chat.  C’est le trentième épisode des aventures de ce héros aux grands yeux, simplement vêtu de sa fourrure blanche et de probité candide, crée en 1941 par Marten Toonder. Dans la Nouvelle République, il en racontera 122. Cent vingt-deux épisodes en vingt-sept ans, 24.000 images, 8.000 strips  : de quoi marquer des générations de lecteurs pour lesquels, sans conteste, le véritable personnage central des histoires de Toonder, c’est Monsieur Bommel.

Strip n° 366. Il y aura toujours à peu près deux ans de décalage entre la fabrication des Tom Pouce par Toonder et leur publication dans la NR. Ce premier épisode date donc probablement de 1948.

Le cartouche choisit par le Centre belge de la BD pour annoncer l’expo 2012. Marten Toonder, qui savait parfaitement pour quel public il travaillait, a mis dans les « mains » de Tom Pouce et Ollie Bommel de nombreux journaux. Dont les titres « traduits » étaient, bien entendu, la Nouvelle République ou Presse-Océan…

Olivier B. Bommel, dit « Ollie » (le « B » ne veut rien dire, précisera Toonder, c’est juste une marque de snobisme d’un personnage qui a fait fortune en Amérique et qui joue les prétentieux), cet ours à la fois drôle, aventureux, généreux, exaspérant (un homme, quoi !) donnera davantage son nom à la BD que son petit comparse un peu plus fade. Au point que, des années après, le souvenir persiste des « aventures de M. Bommel » alors que le nom de Tom Pouce est, peu à peu, entré – en France – dans l’oubli.

Pourtant, et c’est l’une des facettes les plus fascinantes de l’osmose entre le génie du maître hollandais et son public français, pendant tout ce temps, les lecteurs, qui souvent ouvraient leur quotidien sur la page du strip, ont cru dur comme fer que les fables de Toonder se déroulaient près de chez eux.  Comme un reflet de leur propre univers.

Dans sa demeure irlandaise, où la Nouvelle République lui avait rendu visite en 1987, Marten Toonder pose avec son ours fétiche. Celui-là est en peluche mais il fume la pipe comme Olivier Bommel. Il y a eu, aux Pays-Bas, un merchandising gigantesque autour de Tom Pouce. (Photo Nouvelle République)

Lorsque ce cher M. de Zwaan fait parvenir en France les premières bandes, elles sont accompagnées, texte SOUS l’image oblige, d’une version française très, disons, approximative. Pour la Nouvelle République, la chance, le hasard, le destin (au choix !) voudra que deux fortes personnalités s’impliquent dans la « traduction » de ces textes : un journaliste, Albert Simon (qui n’était pas météorologue) pendant presque dix ans, puis Madeleine Beaumord, responsable du secrétariat de la rédaction en chef jusqu’en 1977.

Dans l’un des premiers strips de la NR, ce travail exceptionnel en noir et blanc qu’adorait Toonder le maître dessinateur et qui donnait à ses récits une dimension assez fantastique voire fantasmagorique…

Avec cette dernière, un brin de poésie à la clé, les rudes patronymes bataves vont changer, se franciser, voire se « tourangelliser » : Hortense Michu sera l’amoureuse de M. Bommel ; le fonctionnaire sera Pressibus ; l’épicier, M. Noblegrain ; le châtelain local, le marquis de Chanteclerc ; le psy, le docteur Fenlâme… et le magnat du pétrole, Aristote W. Sissano (soit Onassis à l’envers, mais oui !).

Des noms « bien de chez nous » se serait exclamé Jaboune. D’autant que la cité où se déroule l’action, Rommeldam en néerlandais est devenue, arrivée en Touraine, Cinq-Mars. Or, il existe en Indre-et-Loire, une commune portant ce nom : Cinq-Mars-la-Pile pour être exact. La confusion, ou plutôt le mélange des genres, ne pouvait qu’être efficace : des animaux, certes, mais aux caractéristiques tellement humaines ; des noms et des lieux qui résonnent familièrement. C’est sur : pour les lecteurs de la NRCO, le type qui dessine M. Bommel connaît drôlement bien le Centre-Ouest de la France et ses petits secrets locaux.

Strip n° 8540. Tom Pouce et M. Bommel vivaient (en moyenne) des épisodes longs de trois ou quatre mois. Le dernier paru dans la Nouvelle République porte dans son titre, c’est une coïncidence absolue, le nom du rédacteur en chef de l’époque : M. Guy… Bonnet.

Le 3 mars 1977, après un ultime banquet (Toonder a inventé le banquet de fin d’épisode bien avant ceux du petit Gaulois, « non tu ne chanteras pas… »), et un dernier noir au blanc somptueux, Tom Pouce tire sa révérence et quitte sa vieille « Nounou ». Strip n° 8.540. Un compte rond. Un conte rond.

Ultime festivité au château de Bommelstein. Tous les aventures de la série se finissaient par un banquet collectif avec les deux héros et souvent les autorités de Cinq-Mars. Mais aucun barde n’était attaché dans un coin, bâillonné pendant qu’on servait du sanglier…

Les châteaux au clair de lune (ah, la lune « toondérienne » s’exclament les fans !) sont une constante merveilleuse du travail du maître hollandais. Aux Pays-Bas, il y a eu des dizaines de reconstitutions miniatures du château de Bommelstein et même un parc entier à Rotterdam.

Trois mille deux cent vingt-huit strips et neuf ans plus tard, c’est Marten Toonder qui va tirer sa révérence.

Au n°11765, il aura conduit devant M. le maire, Ollie Bommel et sa chère Hortense (Juffrow Doddel aux Pays-Bas) ; au n°11.767, c’est le traditionnel repas, de fête cette fois, avec un M. Bommel en nœud papillon de jeune marié et le n°11.768 de 1986 s’achève sur une petite silhouette blanche s’éloignant, de dos, dans le soleil couchant, un baluchon se balançant au bout d’un bâton. Un « poor lonesome cat », le chat qui s’en va tout seul aurait écrit Ruyard Kipling, autre grand connaisseur de la nature humaine,Tom Pouce, petit Poucet reprenant la route en y semant les cailloux blancs à la gloire de son créateur.

Dans sa demeure irlandaise de Wicklow (où il demeurera de 1965 à 2001), Marten Toonder, 75 ans, à sa table de travail. Dans sa bibliothèque, l’intégrale de la production de Tom Pouce. (Photo Nouvelle République)

Paru en 1987, cet ouvrage, édité par La Nouvelle République et signé d’Alain Beyrand et Hervé Cannet demeure la seule étude livresque poussée du travail de Marten Toonder en français. Il est aujourd’hui épuisé.

 

Pour laisser le temps aussi à Case Départ de rendre un modeste hommage à son créateur, Marten Toonder, (1912-2005), le Walt Disney européen, l’enchanteur au quotidien. L’oncle Erwann en reparlera.

 

 

> Outre l’ouvrage ci-contre édité par La Nouvelle République et signé d’Alain Beyrand et Hervé Cannet, on peut également se référer au site Pressibus pour en savoir plus sur Marten Toonder.

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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