Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 19 Hal Foster et Prince Valiant, la plus belle bande dessinée de l’histoire



Les fouineurs sont tous les mêmes. On a tous de la documentation, des idées toutes faites et une bibliothèque à faire crouler les murs : mais aujourd’hui, rien ne vaut de vérifier sur le net. Direction un site officiel en anglais (avec deux, trois entrées dans la langue de Molière) super-complet, pointu, précis, qui a comptabilisé TOUT ce qui a trait à la BD en question.

Et là, surprise : six maisons d’édition ont sorti des albums en version française, d’accord ; mais du côté de la presse hexagonale, il n’y a que quatre titres cités : Hop-là, Johnny, le Journal de Mickey et… La Nouvelle République du Centre-ouest.

Voilà où oncle Erwann voulait en venir. Encore une incroyable perle dans les choix de la NRCO : ce journal a été le seul quotidien de France et de Navarre a publier les aventures de Prince Vaillant. Hal Foster, le maître, le roi, l’empereur de la BD médiévale, l’artiste génial qui a inspiré tant et tant d’auteurs eux-mêmes devenus des stars du neuvième art, dans les colonnes du Coin des jeunes, tous les jeudis. Eh, oui, c’était possible. Et c’était dans la NR ! Du coup, puisque le site en question n’avait aucune information sur la Nouvelle République, Case départ va se faire un plaisir de lui en donner.

La première vignette parue dans la Nouvelle République le jeudi 21 avril 1960.

L’histoire

Prince Vaillant (du 21 avril 1960 au 18 mai 1961 soit 57 pages)

Comment raconter une œuvre aussi considérable. C’est déjà incroyable qu’elle se soit installée pendant un an dans un journal régional, elle, dont la création remonte à… 1937. Evidemment, le distributeur français du King Features Syndicate (KFS), Opera Mundi travaille depuis longtemps avec les journaux de province mais enfin…

Seuls donc Hop-Là (132 numéros entre 1937 et 1940), puis le Journal de Mickey (84 numéros entre 1940 et 1943), puis la NR (53 numéros entre 1960 et 1961) puis à nouveau le Journal de Mickey (à partir de 1961, justement) et enfin Johnny (sept numéros magnifiques avec Prince Vaillant en double centrale entre avril et août 1970) ont pu faire partager à leurs lecteurs cette saga.

Planche n°12 dans la NRCO : Arn, déjà presque un jeune homme, quitte le domicile familial.

Son nom d’abord. En français, c’est Prince Vaillant, et parfois Prince Valliant mais on est d’accord : son véritable nom en anglais est Prince Valiant, in the days of the king Arthur ; traduit en espagnol : Prince Valiente ; en allemand : Prinz Eisenherz ; en finnois : Prinssi Peloton, etc, etc. Vu le succès, il y a des versions spéciales jusqu’aux îles Féroé.

Magnifique vision d’un fjord et d’un couple. Superbe modèle pour les écoles de dessin.

Belle, majestueuse, douce et hautaine : dame Alieta, épouse Vaillant, reine des Isles.

Hal Foster lui a imaginé une lignée familiale extraordinaire. Il est le fils du roi Aguar, roi en exil de Thulé (en gros la Norvège), au Ve siècle. Preux et beau jouvenceau à la coiffure aile de corbeau, il va faire partie des mythiques chevaliers de la Table ronde et partir, comme il se doit, à la conquête du Graal. Sa petite promenade de santé (qui dure toujours trente ans après la mort de son créateur) l’amènera à aller faire un tour du côté du Nouveau monde, à affronter aussi bien les Huns que les Saxons, voire un dinosaure qui passait par là et quelques incongruités sorties du XIXe siècle. Marié à la belle et ô combien scandinave Alieta, reine des Iles Brumeuses, ils auront cinq enfants. Arn, l’aîné, qui convolera avec Maeve (ils donneront une petite-fille à Valiant, Ingrid) ; Karen, unie à Vanni ; Valeta, en couple avec Cormic ; puis Galan, le brun et Nathan, le petit dernier, rouquin et râleur.

L’une des plus belles planches de Foster, ce combat homérique sur un pont.

Publiée par planches entières (y compris dans la NR), avec le texte SOUS l’image mais DANS le cadre, la BD baigne dans des décors fabuleux, une précision graphique exceptionnelle où chaque détail – malgré parfois des sauts de quelques siècles – semble sorti d’un livre d’histoire médiévale. Les scènes de combat, les armes, les tenues, les châteaux, les masures, les villages, les drakkars, tout paraît d’un réalisme étonnant. Hal Foster passait, dit la légende, cinquante heures à sa table à dessin pour chaque page !

18 mai 1961 : fin de l’épisode. Fin de la présence de Prince Vaillant dans la NR.

Comment s’appelle l’épisode proposé par la NRCO en 1960 ? De quand date-il ? Peut-être un fan pourrait-il le dire, grâce à l’intégrale parue en 17 volumes chez Zenda. En tout cas, la première case du 21 avril porte bien le n°1 : Arn est déjà grand. Opera Mundi a fatalement diffusé des bandes déjà publiées outre-Atlantique. Alors ? C’est par un simple « Fin de l’épisode » que se termine l’aventure nordique dans le quotidien.

Image un peu gnan-gnan (ça arrive) alors que le bruit des armes et des combats est à peine retombé.

L’auteur

Harold (dit Hal) Rudolph Foster, Canadien (1892-1982)

Même punition, même motif. Il va falloir résumer. Le début de la carrière de Hal Foster vaut un film à lui tout seul.

Né à Halifax (Nouvelle-Ecosse), sur la côte atlantique, il se retrouve à Winnipeg (Manitoba) au centre du Canada. Là, il va devenir à 18 ans boxeur, puis trappeur, puis chercheur d’or après avoir acheté une concession au lac Rice. Il est déjà trentenaire quand il reprend des études d’art à Chicago où son talent est vite remarqué.

Il devient illustrateur, publicitaire et son agent, un certain Neebe, a l’idée d’aller proposer à Edgar Rice Burroughs de mettre son héros en bande dessinée.

Des bandes distribuées dans la presse américaine par le Metropolitan Newspaper Features services

On distingue bien la signature de Foster (qui ne changera pas au fil des années) en bas à droite

Le héros en question est musclé, porte un pagne et crie dans les lianes : et le 7 janvier 1929, Tarzan of the Apes paraît (d’abord en strip) dans les journaux américains (après un curieux détour d’une année par la presse britannique). Le même jour, petits bédéphiles le saviez-vous ?, que le roi de la SF, Buck Rogers (« in the year 2419 ») ; trois jours avant un reporter en pantalon de golf dans le « Petit Vingtième » de Bruxelles ; et dix jours avant un marin aux gros biscottos amateur d’épinards. En deux semaines, Foster, Hergé, Segar, et Nowlan : étonnamment bédéphile, ce mois de janvier 1929, non ?

Etonnant aussi, l’oubli collectif du rôle essentiel de Foster dans la création dessinée de Tarzan à laquelle les Européens associent traditionnellement Burne Hogart qui reprit (avec un super talent, c’est vrai) le manche beaucoup plus tard. Et qui fut reçu en grandes pompes la première année d’Angoulême, en compagnie de Harvey Kurtzmann et André Franquin.

Hal Foster va aussi taper dans l’œil de William Randolph Hearst (le Citizen Kane d’Orson Welles), magnat de la presse qui va le faire signer au King Features Syndicate (KFS) pour une œuvre totalement personnelle, une aventure de chevalerie. Foster aurait proposé comme titre « Prince Arn » mais finalement ce sera Prince Valiant in the days of king Arthur qui paraît le 13 février 1937 dans le New York Journal. Le début d’une saga qui continue à susciter autant de respect que d’admiration, considérée comme l’une des bandes majeures de l’histoire du neuvième art.

Dans ce supplément dominical du Los Angeles Times, le goût de l’étrange qui unit Burroughs et Foster : Tarzan aux prises avec un avion !

Prince Vaillant (Editions Hachette)

Hal Foster ne sera l’homme que de ce héros bien à lui. Il va dessiner jusqu’en 1971, où atteint par l’arthrite, il va devoir poser le crayon après s’être fait assister notamment par Wayne Boring, l’un des hommes de l’ombre de Superman dont Case départ a déjà parlé. La dernière bande, dessinée de sa main, avec le décalage, sera publiée le 10 février 1980 (n° 2.246 dans l’album n° 50) deux ans avant sa disparition. De 2003 à 2008, l’Américain Gary Gianni (né en 1954)  a repris l’histoire sans trahir le trait noble et généreux de Foster. Le maître a inspiré directement des dessinateurs comme Alex Raymond, Milton Caniff, et tant d’autres.

L’un des albums récents (2010) de Gary Gianni et Mark Schultz. Gary Gianni est un surdoué de l'école d'art de Chicago qui fut l'assistant du dernier... assistant de Foster, John Cullen.

Des dizaines de sites sont consacrés à Prince Vaillant ; des rééditions en France chez Serg, Hachette, Slatkine, Futuropolis (collection Copyright), Glénat-Zenda ; au cinéma, c’est le nanard historique d’Henry Hathaway de 1954 avec Robert Wagner dans le rôle titre.

L’affiche du film de Henry Hathaway (Copyright 20e Century Fox)

Hal Foster dans une interview assure qu’il a trouvé l’acteur « immature » et raconte qu’ il a été payé une fortune par la 20e Century Fox pour des corrections qu’il a envoyé par écrit et qui n’ont jamais été respectées, le courrier s’étant… perdu.

C’est aussi en 1997, un long métrage du britannique Anthony Hickok, qui n’a pas vraiment laissé de trace. De 1991 à 1994, Family Channel diffusera une animation de 65 épisodes (passés en 1992 sur France2), « La légende de prince Vaillant » et le groupe Bruno-René Huchez produira aussi un dessin animé dont les bandes annonces sont toujours sur YouTube.

Tout ça pour un gentil père de famille aux cheveux noirs coupés à la Jeanne d’Arc, roi de Thulé, peut-être disent les spécialistes, l’une des meilleures BD du monde qui a fait, discrètement escale dans les colonnes de la Nouvelle République au printemps 1960. On n’en est pas peu fier…

Et après Prince Vaillant, dans le Coin des jeunes, ce sera les aventures de Croc Blanc, qu’on le dise !

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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