Histoire de la BD dans la Nouvelle République: acte 16 Hector Malot, André Galland, Rémi : un trio pour faire pleurer… en famille



Novembre 1952. Les phylactères ont bien du mal à franchir l’obstacle. Le texte reste sous l’image. Il faut dire qu’avec Sans Famille, Pierre Mariel qui adapte Hector Malot a du pain sur la planche.

Le 15 novembre 1952, en page Une de la Nouvelle République, dans une myriade de titres (c’est la mode à l’époque), une petite photo. Elle représente une jeune femme bien mise qui tend la main (visiblement pour les besoins du cliché) vers un petit garçon à la coupe de cheveux impeccable installé royalement dans une voiture à pédales. C’est le prince Charles qui vient de fêter ses cinq ans : la légende précise « gentiment » qu’on va donc pouvoir arrêter de le surnommer « Plum-pudding ». Soixante ans plus tard, c’est plutôt le « Grand cornichon », mais bon, ne changeons pas de sujet.

Au commencement était Malot. Sa commune de naissance, La Bouille (Seine-Maritime) est devenu un lieu de pélérinage pour les amoureux du roman réaliste.

La France de l’après-guerre retrouve le goût des histoires. Des histoires tristes, des petits princes qui ne savent pas qu’ils sont des petits princes. Tiens, comme par hasard, c’est l’un des thèmes de la BD qui démarre ce jour-là dans le quotidien.

Sans famille, le super-nanar d’ Hector Malot, c’est sans conteste l’archétype du roman populaire misérabiliste qui fait pleurer Margot. Traduit en dessins, l’impact est le même. Surtout quand c’est un maître qui s’y colle.

Un maître dont seuls les spécialistes – et c’est bien dommage – ont reconnu (et recensé) l’immensité des talents et de la production, André Galland.

L’histoire

« Sans Famille » d’Hector Malot (écrit en 1878), texte adapté par Pierre Mariel. Du 15 novembre 1952 au 21 mars 1953 (soit une centaine de planches en quatre images).

Que ce soit avec Hector Malot ou avec André Galland, on remonte loin dans le temps. Très loin. Et pourtant, si l’on en juge par les dizaines de rééditions ou d’adaptations, l’impact des romans réalistes de ce style est demeuré considérable. Bibliothèque Verte, Rouge et Or, Livre de Poche, Gallimard jeunesse : tout le monde a sorti au fil des années sa version de Sans Famille, et ce n’est probablement pas fini ; Marc Allégret en a fait un long métrage en 1934 ; puis André Michel en 1958 : si le nom de ce réalisateur n’est pas resté dans l’histoire, il avait tout de même un sacré casting avec Gino Cervi, Pierre Brasseur, Paulette Dubost, etc.

http://www.youtube.com/watch?v=uUqN46Yu78w

On compte au moins quatre adaptations télé réparties entre 1977 et 2000. Les Japonais s’y sont mis avec, en 1977, un dessin animé en 51 épisodes (dessins de Osamu Dezaki) sous le titre Rémi, sans famille (parmi les voix françaises, celle du narrateur Jean Topart) diffusé d’abord par TF1 en 1982 puis sur d’autres chaînes jusqu’en 1991.

http://www.youtube.com/watch?v=3M7yz-8D7fk

Dernier avatar, le coup de cœur du dessinateur lyonnais Yvan Degruel, qui a décidé de s’attaquer au monstre classique en bande dessinée : le premier tome (chez Delcourt jeunesse en 2003) sera un test positif. Mais il lui faudra  six albums pour raconter Sans Famille.

C’était un sacré pari pour un dessinateur jeunesse que de se lancer dans une adaptation BD d’un monument comme cela. Le premier tome de Yvan Dégruel ayant super bien fonctionné, il a été au bout de ses six tomes. (Copyright Ed. Delcourt/Jeunesse).

Il faut reconnaître que résumer l’histoire de ce feuilleton invraisemblable qui court de rebondissements en rebondissements (pour finir « bien », ce qu’on reprochera d’ailleurs à Hector Malot) est mission impossible. On va donc se contenter d’une trame légère : au milieu du XIXe siècle, un petit garçon de huit ans, Rémi, va être vendu par son « père » Barberin à un montreur d’animaux de passage près d’Ussel. Le signor Vitalis va embarquer le gamin dans un tour de France de la misère avec ses animaux, Joli-Cœur le singe et les trois chiens, Capi, Zerbino et Dolce.

Après des tonnes de souffrance, d’abnégation, d’amitié aussi, de prison (au passage), de rencontres, sous la pluie, la neige, le froid, la boue, la faim, bref tout ce qu’il faut pour se ronger les ongles à la simple lecture de ce récit d’initiation, on apprendra (tome II) que Rémi est le fils d’une noble famille anglaise et que Mme Mulligan est sa véritable mère. Ouf ! Avec une pensée émue et quelques larmes pour ce bon Vitalis qui ne verra jamais le dénouement heureux de cette aventure.

Les lecteurs de la Nouvelle République qui ont renoué avec le texte SOUS l’image, n’ont pas fini de sortir leurs mouchoirs. Manifestement, la mode est au réalisme.  Les BD qui vont suivre, à partir de 1953-1954 sont toutes de la même eau : Les deux orphelines, La jeunesse du Bossu, Le Chevalier de Maison-Rouge

Sans compter les bandes verticales qui donnent à fond dans le pathos. Mais de tout ceci, oncle Erwann reparlera.

La première planche intégrale. Elle ne se situe pas dans le Coin des jeunes comme les autres bandes dessinées puisque Sans Famille, BD tous publics, servira de feuilleton quotidien aux lecteurs (et surtout aux lectrices ?).

Finalement, avec son nœud papillon et son air très seigneurial, André Galland se caricature assez bien en homme d’entre deux siècles. Il est né en 1886…

L’auteur

André Galland, 1886-1965

Même difficulté pour résumer la carrière gigantesque d’André Galland, prodige du dessin qui va commencer à travailler en… 1904/1905.

Voilà qui ne nous rajeunit pas, ma pov’ dame ! Surdoué des arts, cet enfant de Sedan va être illustrateur, affichiste, céramiste, musicien, peintre, reporter-dessinateur (à l’époque où il n’y avait pas encore de photographes de presse, c’est dire), dessinateur judiciaire, dessinateur parlementaire, et on en passe.

Dans les multiples adaptations dessinées, chaque illustrateur voit les quatre animaux de Sans Famille à sa manière. Celle d’André Galland, c’est le réalisme pour le singe Joli-Cœur et les chiens Capi, Zerbino et Dolce.

Pour le plaisir et l’admiration : un effet zoom sur cette masure en noir et blanc avec quelques poules qui picorent. De l’hyperréalisme dirait-on aujourd’hui, mais techniquement superbe.

Côté ruban rouge, c’est pas mal non plus puisqu’ André Galland, au moins célébré de son vivant, sera fait chevalier de la Légion d’honneur, des Arts décoratifs et des Beaux Arts ; il présidera pendant des années des organismes comme l’Union des artistes et dessinateurs (qu’il va fonder), la Fédération nationale des dessinateurs et créateurs ; et de manière plus anecdotique (mais tout aussi sérieuse), la confrérie des Tastevins et celle du… Bal des barbus. Bref, une star dont il faut relire la vie et l’œuvre dans le n° 75 du Collectionneur de Bandes dessinées (septembre 1994), dans tous les dictionnaires consacrés au 9e art (de Gaumer à Filipini en passant par Moliterni/Denni) ou dans le Catalogue encyclopédique d’Alain Beyrand dont oncle Erwann a déjà parlé.

Moment essentiel du roman et de la BD : Barberin contraint de « vendre » Rémi au signor Vitalis. Une grande quête commence.

André Galland est lui aussi contraint de commencer très jeune dans le métier après l’effondrement de la fabrique de draps de son père. Cela fait plus de dix ans qu’il dessine lorsqu’il lance, en 1919, Ninette et Cloclo.

Pour mémoire, quelques références : Ninette et Cloclo (si j’avais un marteau, mais non, rien à voir) en 1916 dans le journal Lili et dans beaucoup de titres de la maison Offenstadt ; en matière d’affiches, il signe (entre cent autres) la première de la Loterie nationale en 1933, celles des Chemins de fer, d’un chocolat du nom de Vinet.

Côté politique, il est au service du Centre des républicains nationaux (pas franchement de gauche) et ses affiches anti-Front populaire sont redoutables.

Dans l’Illustration, ce sont les dessinateurs qui donnent à voir les informations. Ces croquistes-reporters sont sur tous les fronts et ici au procès Landru en 1921.

Illustrateur-reporter (« croquiste-reporter » disait-il), il est au procès Landru pour l’Illustration, comme il sera, après-guerre au procès Pétain, puis au procès de Nuremberg et plus tard, au service de Frédéric Pottecher pour saisir les ambiances d’audiences célèbres. Il continuera jusqu’à la fin de sa vie ce travail si particulier pour le Parisien Libéré.

Côté BD, son style sombre s’accommode fort bien des récits réalistes comme Rocambole, la Case de l’oncle Tom, René Madec, le nabab breton, L’affaire Dreyfus, etc, etc…

C’est l’agence Paris Graphic, avec laquelle il travaillera beaucoup qui va diffuser Sans Famille dans la NR. Apparemment, cette bande horizontale n’aurait été publiée que dans le Parisien Libéré et le quotidien bordelais Sud-Ouest entre 1951 et 1952.

André Galland va croquer aussi des dizaines de scènes qui deviendront de véritables tableaux comme ce dessin « Au spectacle » mis aux enchères sur le site Arcadja…

Il n’y a pas de très nombreux illustrateurs qui peuvent se vanter d’avoir travaillé avec HB-Henriot. André Galland est de ceux-là. Ce Breton fumant la pipe est probablement un objet rare.

Enfin, cerise de faïence sur ce gâteau de papier, André Galland a aussi collaboré avec la mythique faïencerie HB-Henriot de Quimper et de nombreuses pièces signées de sa main sont aujourd’hui soit exposées, soit relancées dans des sites de ventes aux enchères spécialisées. Tout ce qui porte la marque HB étant de toute façon très bien coté, alors avec la double signature HB + AG, les petites têtes de Bretonnes ou les pichets de Normandie doivent valoir une fortune. Et une bolée de cidre (de Fouesnant, gast) en mémoire de Monsieur Galland !

Autre production conjointe du dessinateur et de la faïencerie quimpéroise, ce pichet pourtant normand. On remarque la signature « AG » dans le pied de cette céramique. AG + HB = ?

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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