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Coup de pompe…

CVT_Chroniques-dune-station-service_9579Rentrée littéraire 

Un objet littéraire non-identifié. Voilà à quoi m’a fait penser « Chroniques d’une station-service », un premier roman, drôle, fantasque, foutraque… et qui nous parle de nous.

Qui ne s’est jamais servi à la station-essence ? Qui n’a jamais profité des toilettes où ça sent le détergent trop fort ? Acheté des sandwiches qui ressemblent à du carton sur la route des vacances dans ces stations-services immenses et sans âme ?

Une expérience, banale, que nous avons tous en commun. Mais avons-nous réellement observé ce qui s’y passait ? Pris en considération ceux qui y travaillent ?

Alexandre Labruffe a visiblement pris le temps d’y voir des choses et d’y déceler des histoires abracadabrantesques !

Son narrateur, pompiste par défaut, s’ennuie ferme. Alors tout est propice à dérouler des intrigues minimalistes, des quiproquos érotiques et des aventures improbables. Le tout, entre trois pleins, des paquets de chips et des cannettes de cola sans sucre…

 Alexandre Labruffe, 45 ans, a été en poste dans des Alliances françaises en Chine puis en Corée du Sud. À cette époque, il a publié avec Benjamin Limonet un récit expérimental à 4 mains, « Battre Roger » (éditions D’ores et déjà, 2008). Depuis son retour à Paris en 2015, il collabore à divers projets artistiques, tout en poursuivant sa thèse en Arts et Cinéma à l’Université Paris-3.

Extraits

Page 15 : 

6. « Lieu de consommation anonyme, la station-service est le tremplin de tous les instincts. 

Ce que je vends le plus : le Coca Zéro 

Le Coca Zéro. Les chewing-gums. Les chips. Les magazines érotiques ou d’automobiles. Les cartes de France. Les sandwichs. L’alcool. Les barres chocolatées ( Mars en tête). Et évidemment l’essence. »

Page 27 : 

17.  » Pour être pompiste, il faut avoir le permis ( 80% des annonces l’exigent) et aimer l’odeur de l’essence ( 100% des annonces l’oublient). 

Moi, j’aime l’odeur de l’essence, l’indélébile odeur de l’essence, ce parfum entêtant et têtu, collant, qui s’incruste, acide, sucré et amer, partout, en tout.

Il faut aimer  la routine aussi. La routine et l’ennui que j’essaie de tromper, attendant les clients, en regardant des films sur la télévision accrochée au mur derrière le comptoir ; des films que je regarde en boucle, quand je ne joue pas au dames aux Nietzland. 

Il faut enfin aimer les non-lieux (les néons et les non-lieux) et les filles qui aiment l’odeur de l’essence. Certaines filles en raffolent, me collent dans les soirées, me sniffent quand je leur dis que je suis pompiste. 

Contrairement aux idées reçues, les filles aiment les odeurs fortes. « 

Page 62-63 : 

80. « Le damier posé entre nous. Nietzland est sidéré :

- Mais pourquoi tu es parti en courant, Beauvoire ? Je te comprends pas. Il suffisait de l’embrasser. Elle te tendait les bras, et toi tu fais quoi  : tu fuis ?! Merde. A mon avis, elle est en dépression maintenant. C’est sûr, elle ne voudra lus jamais te revoir. 

- Oui, j’ai honte, je sais pas ce qui m’a pris, j’ai paniqué, je crois. Elle est revenue de la salle de bains avec son peignoir à moitié ouvert, presque nue, et là… j’ai horreur des peignoirs, tu sais bien, de la nudité aussi…, et la vérité, pour tout te dire, j’avais sa culotte qui dépassait de ma poche… 

- Qu’est-ce que tu faisais avec sa culotte dans la poche ? 

- Oh laisse tomber… C’est trop compliqué à… 

Un client me commande une bouteille de bière fraîche. je lui sers une Meteor. Nietzland déplace un pion. Je comprends qu’il s’oriente vers le coup du caméléon. 

Il a l’air pensif :

- Tu vois, au Japon, il y en a qui se feraient hara-kiri pour moins que ça. »

« Chronique d’une station-service », Alexandre Labruffe, Verticales, 15€

 COUP DE POMPE

 

 

Rentrée littéraire  
DEMANDE TIERS«  La folie n’est pas donnée à tout le monde. Pourtant j’avais essayé de toutes mes forces.  »
C’est le genre de fille qui ne réussit jamais à pleurer quand on l’attend. Elle est obsédée par Bambi, ce personnage larmoyant qu’elle voudrait tant détester. Et elle éprouve une fascination immodérée pour les requins qu’elle va régulièrement observer à l’aquarium.
Mais la narratrice et la fille avec qui elle veut vieillir ont rompu. Elle a aussi dû faire interner sa sœur Suzanne en hôpital psychiatrique. Définitivement atteinte du syndrome du cœur brisé, elle se décide à en savoir plus sur sa mère, qui s’est suicidée lorsqu’elle et Suzanne étaient encore enfants.
Elle retourne sur les lieux, la plus haute tour du château touristique d’où sa mère s’est jetée. Elle interroge la famille, les psychiatres. Aucun d’eux ne porte le même diagnostic. Quant aux causes  : « Ce n’est pas important de les savoir ces choses-là, vous ne pensez pas ? »
Déçue, méfiante, elle finit par voler des pages du dossier médical qu’on a refusé de lui délivrer.
Peu à peu, en convoquant tour à tour Blade Runner, la Bible ou l’enfance des tueurs en série, en rassemblant des lettres écrites par sa mère et en prenant le thé avec sa grand-mère, elle réussit à reconquérir quelques souvenirs oubliés.
Mais ce ne sont que des bribes. Les traces d’une enquête où il n’y a que des indices, jamais de preuves.
La voix singulière de Mathilde Forget réussit à faire surgir le rire d’un contexte sinistre et émeut par le moyen détourné de situations cocasses. Sur un ton à la fois acide et décalé, elle déboussole, amuse et ébranle le lecteur dans un même élan.

Mathilde Forget, auteure, compositrice et interprète signe là son premier roman plein d’humour décalé et grinçant. Un pas de côté pour aborder des questions profondes, graves. Essentielles. 

Elle nous en parle ici  :

 

Extraits

Pages 26-27 : « Jacques a dit :  » Ne devient pas fou qui veut. » Je ne suis pas spécialement lacanienne, mais sans connaître cette phrase j’ai pensé il y a quelques temps que la folie n’est pas donnée à tout le monde. Je ne suis pas non plus freudienne. Et d’ailleurs je me méfie de Sigmund, je sais que Bambi a été créé par l’un de ses proches amis, le romancier Felix Salten.

La folie n’est pas donnée à tout le monde. Pourtant j’ai essayé de toutes mes forces. C’était après avoir passé plusieurs heures à répéter, Bambi est un connard, Bambi est un connard, Bambi est un connard… effondrée sur le carrelage trop propre de ma cuisine. Un jour une amie m’a dit : « C’est tellement vide et propre chez toi, on dirait l’appartement d’un psychopathe. » C’est vrai, je pourrais être une psychopathe mais je crois que mon goût pour les intérieurs austères et ordonnées me vient surtout de mon éducation protestante. « 

Page 35 : « Grâce aux médicaments, Suzanne dit oui à toutes mes propositions d’activités, ce qui me permet de m’améliorer à la belote. Une grande soeur cesse forcément un jour de jouer avec sa petite soeur, à l’hôpital psychiatrique je peux me venger. Pour la belote, on s’installe dans sa chambre. On est souvent interrompues par un patient qui cherche la télécommande. Il n’y en pas qu’une seule pour tout l’hôpital, alors pour changer de chaîne il faut partir à sa recherche. » 

Page 76 : « On a rompu sur un banc. J’ai voulu pleurer pour réhabiliter mon coeur. Je l’ai prise dans mes bras pour qu’elle ne voie pas mon visage. J’ai fait en sorte que des larmes viennent et peu importe de quel chagrin. J’ai pensé à la mort de Cathy Cesnik, assassinée le 7 novembre 1969 à Baltimore car elle s’apprêtait à révéler de nombreux viols et agressions sexuelles commis par des prêtres sur des enfants au sein de l’école catholique où elle enseignait le théâtre et l’anglais. Penser à soeur Cathy me fait pleurer. Quand j’a senti les larmes monter, je lui ai montré mon visage. Dans son regard j’ai vu un soulagement. 

Quatre mois après la rupture, j’ai pleuré pendant une semaine sans même avoir besoin de penser à soeur Cathy. Et mon coeur s’est littéralement effondré dans ma poitrine pour finir au fond de mon ventre. J’ai donc bien un coeur, mais il n’est plus au bon endroit. »

« A la demande d’un tiers », Mathilde Forget, Grasset. 

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Rentrée littéraire

41Zm6vtAysL._SX195_Je n’avais, sauf oubli de ma part, jamais ouvert un roman de Karine Tuil. Le onzième de ses écrits est arrivé sur mon bureau alors je l’ai ouvert. « Les choses humaines » nous parle de nous, de l’air du temps. C’est d’ailleurs ce que lui reproche plusieurs critiques lues ces dernières semaines. L’ère post «#metoo » pour être plus précise.

Au fil des pages, on parle de sexe, de violence sexuelle, de rapports entre hommes et femmes. A l’aune de l’actualité qui ne laisse plus rien passer, et c’est heureux.

L’histoire ? Elle se passe aujourd’hui. Jean Farel, 70 ans, fait de la résistance à la télévision et sur les ondes. L’homme, qui s’est fabriqué tout seul, est au faîte de sa carrière. Il est marié à Claire, essayiste reconnue, de 27 ans sa cadette. Ils ont un fils, Alexandre, brillant étudiant, mais cependant fragile, alors en chemin vers une prestigieuse université américaine, Stanford. Il tente de se remettre d’une douloureuse rupture amoureuse avec une femme plus âgée, et déjà dans les sphères du pouvoir.

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Rentrée littéraire

UNE JOIE FEROCEUn sujet grave, douloureux, évoqué d’une manière peu banale. Dans son nouveau roman, Sorj Chalandon nous parle du cancer. Et de ce qu’il peut provoquer comme conséquences, parfois définitives, chez celles et ceux qu’il frappe. La preuve avec JeanneJeanne ? C’est une femme formidable. Tout le monde l’aime, Jeanne.

Libraire, on l’apprécie parce qu’elle écoute et parle peu. Elle a peur de déranger la vie. Pudique, transparente, elle fait du bien aux autres sans rien exiger d’eux. A l’image de Matt, son mari, dont elle connaît chaque regard sans qu’il ne se soit jamais préoccupé du sien.
Jeanne bien élevée, polie par l’épreuve ( son fils est mort à sept ans, malade), qui demande pardon à tous et salue jusqu’aux réverbères. Jeanne, qui a passé ses jours à s’excuser est brusquement frappée par le mal. «  Il y a quelque chose  », lui a dit le médecin en découvrant ses examens médicaux. Quelque chose. Pauvre mot. Stupéfaction. Et autour d’elle, tout se fane. Son mari, les autres, sa vie d’avant.

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Les autres, cet enfer !

Rentrée littéraire

livre_moyen_9782707345783Julia Deck a l’art de dénoncer, avec humour et ironie, les travers de notre époque. Elle s’y emploie une fois encore dans son quatrième roman « Propriété privée », paru il y a quelques semaines. 

Une auteure quadragénaire dont j’avais découvert la plume et la verve à travers son premier roman « Viviane Elisabeth Fauville »très bonne impression confirmée à la lecture du « Triangle d’hiver ». 

Signe des temps, nous voilà à l’orée d’une nouvelle vie pour Eva et Charles Caradec. Les deux quinquagénaires parisiens ont décidé de quitter la capitale pour un écoquartier de l’autre côté du périphérique. Elle est urbaniste, un peu perchée. Il était enseignant mais surtout dépressif depuis plusieurs décennies. 

Le couple saute le pas et achète une maison, sur plan. Un ensemble de huit habitations, un groupe fermé de huit familles, issues des classes moyennes supérieures. Ambiance « Wisteria Lane », vous voyez ? 

Vous avez là Eva et Charles donc, mais aussi Arnaud et Annabelle Lecocq, les Benani, les Lemoine, les Taupin… 

Avec, rapidement, un chat rouquin retrouvé mort, après avoir été torturé… Raconté comme cela, vous allez me dire : « Bof ». Vous auriez tort. Je ne veux pas « divulgâcher » toute l’intrigue qui, d’une comédie acide va se transformer en polar foutraque. 

Julia Deck, invitée de l’émission La Grande librairie nous raconte :

 

Julia Deck, invitée de l’émission La Grande librairie nous raconte :

Extraits

Page 39 : […] Un second rire très net s’est fait entendre. J’ai regardé autour de moi. Il n’y avait  personne d’autre dans la pièce. Mais la lucarne était demeurée entrouverte, à quelques mètres de la salle de bains mitoyenne. Mon coeur s’est rétracté d’horreur. J’ai compris que je n’avais plus le droit de crier, qu’il faudrait ravaler ma rage jusque dans notre abri le plus intime, parce que rien de ce qui se déroulerait ici ne demeurerait caché. Surtout j’ai compris que j’allais mordre la poussière. » 

Page 54 : « Je t’ai tout de suite dit que ce serait une erreur de tuer le chat. En général parce que nous ne sommes pas des personnes qui s’en prennent aux animaux, et en particulier parce que nous sommes encore moins de celles qui clouent leurs dépouilles aux portes du voisinage en signe de mécontentement.

Page 148 : « Je ne vais pas te mentir. Chaque fois que je t’ai vu au parloir, tu m’as fait peur. Evidemment, le décor n’aidait pas, un bloc sale inventé par un architecte scélérat, aux vitre scarifiées par des centaines d’ongles acharnés, suintant l’haleine de toutes les bouches qui s’étaient tendues en vain l’une vers l’autre pour ne rencontrer qu’un mur de glace. Et ce policier statufié dans l’angle, qui gagnait son salaire en rayant de sa conscience tout sentiment humain pendant ses heures de service – j’espérais que son épouse le martyrisait qu’il possédait trois enfants en bas âge et un crédit jusqu’au cou. »

« Propriété privée », Julia Deck, Editions de Minuit, 16€

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Rentrée littéraire

OLIVIER ADAMOlivier Adam est de retour ! J’avais découvert ses personnages à travers le roman « Les lisières », dont j’avais particulièrement apprécié la vision de la France des périphéries. J’avais voulu prolonger avec « Peine perdue », que j’avais trouvé moins percutant. Puis avec « La renverse », qui nous rappelait qu’en politique comme ailleurs, la chute peut être terrible, irrémédiable. Tragique même.

Bref, j’ai replongé. Pour le meilleur ou pour le pire ? Allez savoir. Dans ce nouveau roman, Olivier Adam convoque à nouveau son avatar, Paul. Steiner ou Lerner au fil des romans dans lesquels il nous donnent des nouvelles de sa vie, de ses amours… et de ses emmerdes.

Ses emmerdes, justement. A 45 ans, elles voyagent visiblement en escadrille dans la vie de notre auteur qui, faute de succès littéraire donc d’argent, retourne vivre en Ille-et-Vilaine, département qu’il avait quitté avec femme et enfants pour s’installer à Paris. Dans ce roman, où Olivier Adam nous promène entre fiction et autobiographie, nous rencontrons un Paul un peu éteint, qui n’a pas réellement digéré ses années de déveine.

Journaliste dans un hebdomadaire, il tente de s’adapter à son nouveau statut. Un peu dépassé par son environnement. Le plus proche. Il apprend que, Sarah, sa compagne lui ment depuis des mois sur son emploi du temps, qu’elle le trompe avec une femme ; que sa fille aînée, Manon, s’enfonce dans les mensonges jusqu’à se rendre malade. Seul Clément s’en sort. Entre surf et parties de foot via un ordinateur…

Alors que le centre d’hébergement de migrants dans lequel Sarah, sa compagne, est pris pour cible par des racistes, Paul est « approché » par Claire, qui se présente comme sa demi-sœur. L’est-elle vraiment ? Manon, elle, sera « enlevée » par Franck, policier… et mari de Lise, la maitresse de Sarah. Vous suivez toujours ?

Au fil des pages, le roman se transforme en tourbillon. Tout s’enchaîne. Trop ? Allez savoir. Personnellement, je le trouve « too much », mais les réalisateurs devraient se régaler de ces intrigues enchêvetrées.

Un nouveau « livre-bilan » pour Olivier Adam qui comme dans « Falaises », « Des vents contraires », ou « Lisières » en profite pour faire le point, et aborder aussi ce qui meut notre société. Entre accueil des migrants et défense de l’environnement.

 Extraits

Page 40 :« Eric lui serra la main tandis que son chien tirait sur sa laisse, ne voyant pas en quoi un type dans son genre pouvait justifier qu’on interrompe sa promenade. Paul n’était pas loin de penser la même chose. Du reste il n’aurait pas été contre l’idée d’ignorer Eric, depuis plusieurs années déjà, et jusqu’à nouvel ordre. Cela faisait bientôt vingt ans qu’ils se croisaient. Ils avaient publié leurs premiers romans à la même époque. Ceux de Meyerowitz avaient connu un succès tardif mais depuis quelques années il tenait sa revanche et ne quittait plus les cimes des classements des meilleures ventes. »

Page 84 :« Il passa la journée en compagnie d’un fantôme. Celui d’un ami. Celui d’un frère. Qu’il avait, comme tous ceux qu’il avait eus, dans des circonstances nébuleuses. A quoi pouvait bien tenir cette manie de couper les ponts, cette disposition au saccage, auxquelles seule Sarah avait échappé jusqu’ici ? Oui, longtemps, Aurélien avait été un frère pour lui. Comme l’avait été Damien à l’adolescence (une fois entré à l’université Paul ne lui avait subitement plus donné la moindre nouvelle, pas plus qu’aux amis qui gravitaient autour d’eux à l’époque, il avait littéralement disparu de leurs vies. Comme l’avait été son frère aîné, jusqu’à ce qu’au prétexte d’une prétendue incompatibilité politique, culturelle, au cours d’il ne savait plus quelle engueulade, Paul l’éjecte de sa vie. »

Page 344 :« Il leur fallait prendre un peu de distance, se disait-il, se sauver, dans les deux sens du terme. C’était chez lui un vieux réflexe. Quand les choses s’enlisaient, il fallait partir. Pas toujours pour de bon. Mais au moins pour quelques jours. La fuite lui avait toujours paru une stratégie préférable à toute autre. Depuis qu’ils se connaissaient, Sarah et lui, ils n’avaient cessé de jouer à cache-cache avec le malheur, la dépression, l’usure, l’ennui, les échecs, quittant Paris pour la Bretagne, puis la Bretagne pour Paris, et Paris pour la Bretagne, par un curieux mouvement de balancier, d’allers-retours qui ne menait à rien et finissait par leur coller la nausée. Peut-être fallait-il en finir avec tout ça. Ne plus revenir sur leurs pas. Repartir de zéro. S’inventer d’autres racines, d’autres attaches. »

 « Une partie de badminton », Olivier Adam, Flammarion, 21€

 

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Rentrée littéraire

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Un premier roman ? Youpi ! Une fois de plus, quel plaisir de se laisser porter par l’envie, l’histoire et les mots de celui ou celle qui se lance. Qui voit son aventure littéraire aboutir. Jour de gloire donc pour Victor Jestin, 25 ans,  jeune Parisien diplômé du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle.

« La chaleur » fait donc partie des 524 nouveaux romans de la rentrée littéraire. Celle des prix. Celle des bonnes pioches et des jolies découvertes ?

L’histoire ? C’est celle de Léonard, un adolescent de 17 ans qui passe ses vacances en famille dans un camping du sud-ouest. Il s’ennuie ferme. Préfère faire la vaisselle, seul, plutôt que de jouer avec des jeunes de son âge. Il reste en grande partie à la vie du camping. Et pas question pour lui de participer à l’injonction du bonheur qu’on lui distille à longueur d’activités.

Une nuit, la veille du retour à la maison, tout bascule cependant. Il tombe sur Oscar, un autre jeune vacancier. Mais l’adolescent est en train de mourir, étouffé, affalé sur une balançoire. Léonard le laisse mourir. Mais fera ensuite le curieux choix de l’enterrer dans le sable. Et de  vivre avec son secret jusqu’à la fin des vacances.

Une situation singulière pendant laquelle il tombera également amoureux de Luce. Une jeune fille qui, comme avec Oscar, joue avec ce jeune homme toujours à part.

Au fil des pages, voilà un roman efficace à l’écriture simple et fluide.

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 Laurent Gaudé fait partie de mon panthéon littéraire personnel. De son vivant ! Oui, je sais, c’est une sacrée chance !

SALINA

 

Presque vingt ans que je suis cet auteur, roman après roman. C’est d’ailleurs grâce à l’un d’eux (« Danser les ombres ») que j’ai eu envie de découvrir Haïti, sac sur le dos.

Romancier, auteur de théâtre et de nouvelles, poète, Laurent Gaudé manie les mots et les univers. Convoquant la mythologie antique pour mieux expliquer l’actualité brûlante. Et ça fonctionne.

Vous trouverez des posts sur ses oeuvres ici mais également là  et enfin par ici.

 

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yoan-smadja_belfondUne claque littéraire. De celles qui vous marquent. Pas si fréquent. Mais voilà, il y a des livres, un premier roman de surcroît, et des sujets – le début du génocide au Rwanda en 1994 – qui, combinés, vous donne un livre exceptionnel tant par sa maîtrise du sujet que par le sens narratif. « J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi », écrit par le trentenaire Yoan Smadja nous offre tout cela.

Alors que, après des années de lectures sur le sujet (ceux de Jean Hatzfeld, ceux de Scholastique Mukasonga, etc.),  je vais découvrir ce pays en septembre, j’ai savouré la lecture de ce livre. Jusqu’au bout. Jusqu’aux larmes.

Je vous raconte ? Nous sommes en 1994. Au printemps. Trois mois suffiront à faire disparaître plus de 800.000 Rwandais. Leur tort ? Appartenir à « l’ethnie » des Tutsi. Les miliciens Hutu ( comme le président au pouvoir qui a trouvé la mort dans le crash de son avion alors qu’il rentrait de Tanzanie le 6 avril 1994 après avoir signé un accord avec les rebelles Tutsi du Front patriotique rwandais) vont massacré près de 450 Tutsi par heure pendant trois mois.

A coups de machettes, de gourdins, de marteau… Une extermination planifiée qui, cent jours durant, a ravagé un pays, transformant des hommes en bourreaux de leurs voisins, de leurs amis, de leurs cousins.

Ce pays, Yoan Smadja l’a découvert en 2006. Français installé en Israël, il coorganise un voyage alors qu’il est animateur d’un mouvement de jeunesse juif. Il rejoint le pays des Mille collines avec des Français et des rescapés Tutsi pendant une semaine. L’autre partie du voyage s’est fait en Israël. Un choc pour le jeune homme, aujourd’hui gérant d’un restaurant pour une enseigne française, à Tel-Aviv.

 

« Mon objectif a toujours été

de raconter une partie du génocide au prisme du roman »

 

Un choc tel que le jeune homme entame un travail d’écriture immédiatement à son retour, m’a-t-il expliqué par courriel.

 » Il est compliqué d’en cerner le déclic, je dirais que c’est un mélange : trop-plein de sentiments éprouvés sur place lors des visites de lieux dans lesquels des massacres ont été commis, rencontres avec des survivants du génocide, dont des femmes violées, conscience du fait qu’en 1994, bien qu’étant très jeune, j’étais vivant et qu’un événement d’une telle ampleur a eu lieu d’une manière finalement si proche…
Et souhait, aussi, de rendre hommage à ces hommes et ces femmes si nombreux, qui ont péri dans un silence relativement assourdissant, par le biais du roman. »

Son texte aura mis près d’une décennie à « infuser » réeellement, raconte Yoan Smadja

  » J’y ai pensé sans y penser, réfléchissant par touches aux cadres (la résidence de l’ambassadeur de France, entre autres), aux personnages, aux respirations (la cuisine, la vanille), au déroulé, aux scènes marquantes, à la manière dont une femme française (Sacha) réagirait à ce qu’elle voit et à celle dont une jeune maman tutsi (Rose) vivrait la perte de son univers.

Mon objectif a toujours été de raconter une partie du génocide au prisme du roman : il fallait que l’histoire soit vraisemblable, les personnages construits, l’environnement et le déroulé chronologique exacts. Et un matin, alors que plus de 10 années étaient passées entre la première rédaction et ce déclic, je m’y suis mis de manière presque obsessionnelle et l’ensemble a été rédigé en 3 ou 4 semaines. Puis est venu le temps de la relecture, des corrections, etc.
Tout est sorti comme un besoin. »
 Pour écrire son roman au plus près de la vérité, Yoan Smadja a eu affaire à des spécialistes de la question rwandaise.
« Je souhaitais que le roman soit inattaquable s’agissant du déroulé chronologique afin de neutraliser toute potentielle velléité de remise en cause/question de la part des (nombreux, hélas) révisionnistes. Et j’avais le sentiment que je devais bien cette part d’exactitude aux rescapés : je crois qu’il est possible de tenter d’écrire les sentiments de protagonistes de fiction évoluant dans un ensemble rigoureux du point de vue des faits.
Par ailleurs, afin de comprendre comment travaillent les journalistes étrangers, j’ai fait appel à Annie Thomas (AFP) : je voulais connaitre les conditions de travail, la manière dont on évolue dans un chaos pareil, dont on communique avec sa rédaction en chef, dont on mange, on dort, etc. »
« J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi » a ainsi été lu par plusieurs des rescapés du voyage effectué en 2006.
 »  j’ai été très heureux – et je crois aussi soulagé – de constater que cela leur a plu. L’une d’entre eux, Jeanne Uwimbabazi, l’a lu avant la publication et ses conseils, corrections et recommandations, comme ses explications au sujet de la perception qu’avaient les Tutsi des événements qui, selon toute vraisemblance, devaient arriver un jour ou un autre, ont été très précieux. »

Revenons à l’histoire. C’est celle de Sacha, grand reporter française envoyée en Afrique du sud. Avec le photographe qui l’accompagne, elle surprend un transport d’armes, de machettes. Et décide de rejoindre le Rwanda, sans savoir encore ce qu’elle va découvrir.

Au Rwanda, justement. C’est là, à Kigali, que vivent Rose, son mari Daniel et leur jeune fils, Joseph. Elle, muette, travaille comme son père avant elle à l’ambassade de France. Daniel, lui, est médecin. Ils sont Tutsi. Leur monde va s’écrouler. Leur amour les tiendra debout. Et vivants. Rose va sans cesse écrire à son mari alors qu’ils sont séparés et que les personnels français de l’ambassade ont été exfiltrés. Daniel va s’accrocher à ses mots tout en aidant Sacha à raconter, à témoigner.

Les débuts du génocide sont là, devant nous. Le drame, en germe depuis des années, va éclater, ravager, décimer.

Un texte fort. Un roman puissant. Et deux portraits de femmes fortes.

Extraits

Page 150 : « Parfois nous parviennent des pleurs étouffés, les échos de chasse à l’homme, des hurlements de voitures roulant à une allure folle. Des hordes de miliciens, aussi. Ils chantent, ils crient, ils disent qu’ils doivent tous nous trouver. A deux reprises au moins depuis l’attentat, je les ai entendus passer à côté de l’ambassade.

Une agitation étrange a régné ces deux derniers jours à la résidence. Ma mère et moi avions très peu vu l’ambassadeur depuis sa prise de fonctions, et depuis l’attentat, il était totalement invisible. De nouveaux soldats français sont arrivés. Leur équipement est neuf. Leurs uniformes sont impeccablement repassés. Ils ont l’air préoccupés. Ils encerclent la résidence., escortent les véhicules qui y entrent et en sortent, filtrent les arrivées. L’ambassade vit à leur rythme désormais. « 

Pages 218-219 :« A quoi rêves-tu ? Toi aussi, ils te forcent à courir ? J’ai pensé au miroir ce matin et je me suis dit que nous avions changé. Notre image sera différente désormais. Même moi j’ai changé. Je sais que la couleur de mes ongles, que les haillons que je porte, trempés d’eau sale et de boue, m’auraient répugné. Vois ce que nous sommes devenus. Des êtres humains aux réflexes d’animaux, cachés entre les pentes mousseuses de nos collines et les arbres trempés par nos averses?. Des êtres humains, étrangers les uns aux autres, abreuvés aux mêmes marais brumeux, tapis dans l’eau pisseuse. Des êtres humains après lesquels courent des gens inconnus, gavés de haine et de vin, convaincus que notre engeance est honnie mais que la révolution est en cours, soutenue par les femmes qui pillent nos maisons abandonnées, nos parcelles confisquées, nos chambres pleines de caresses et d’enfants. Est-ce là le pays que nous aimions ? »

Page 248 : « Entre les Hutu et les Tutsi, la déchirure est celle du quotidien, elle est intime. On dénonce ses voisins. On leur en veut, pour des disputes banales de récoltes, de bétail, de parcelles qui viennent s’ajouter au crime d’être tutsi, et le mobile n’en est que plus justifié. On les tue, parfois, par crainte d’être assassiné. On tue sa compagne ou son compagnon parce que son ethnie n’est pas la bonne. On glisse dans l’absurde. Nos mots de journalistes n’ont plus de sens mais il faut poursuivre, écrire, raconter, témoigner de ce à quoi nous assistons. »

 « J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi », Yoan Smadja, Belfond. 17€.

Pierre Jourde est auteur, romancier et critique littéraire. Prolixe, courageux, inspiré… et très souvent drôle. La preuve encore avec « Le voyage du canapé-lit » qui m’a permis de me replonger dans son oeuvre, découverte il y a quinze ans. Le temps file…

CANAPE_JOURDEJ’ai suivi avec attention le conseil de la libraire tourangelle préférée et j’ai ouvert ce roman-récit.  Si la chronologie des faits et les dialogues sont le fruit de l’imagination de Pierre Jourde, les anecdotes, les situations ont bel et bien existé.

L’histoire ? C’est celle d’un voyage. Celle d’une psychanalyse itinérante à l’avant d’un véhicule Jumper. Là, se trouvent Pierre Jourde donc, son frère Bernard et la femme de celle-ci, Martine.

CANAPE LITIls ont été chargés par leur mère de transporter la relique ( le fameux canapé-lit laid dont elle vient d’hériter de sa mère) depuis Créteil et la banlieue parisienne jusque dans la maison familiale en Auvergne, à Lussaud.

Durant cette traversée, les trois convoyeurs échangent des souvenirs où d’autres objets, tout aussi dérisoires et encombrants que le canapé, occupent une place déterminante.

Les deux frères, tantôt complices tantôt opposés, réveillent leurs morts aussi, et multiplient les virées dans leurs souvenirs, qu’ils soient communs ou pas. Mais qui, mis bout à bout, racontent cette famille un peu foutraque.

 

 

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