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Rentrée littéraire

UNE JOIE FEROCEUn sujet grave, douloureux, évoqué d’une manière peu banale. Dans son nouveau roman, Sorj Chalandon nous parle du cancer. Et de ce qu’il peut provoquer comme conséquences, parfois définitives, chez celles et ceux qu’il frappe. La preuve avec JeanneJeanne ? C’est une femme formidable. Tout le monde l’aime, Jeanne.

Libraire, on l’apprécie parce qu’elle écoute et parle peu. Elle a peur de déranger la vie. Pudique, transparente, elle fait du bien aux autres sans rien exiger d’eux. A l’image de Matt, son mari, dont elle connaît chaque regard sans qu’il ne se soit jamais préoccupé du sien.
Jeanne bien élevée, polie par l’épreuve ( son fils est mort à sept ans, malade), qui demande pardon à tous et salue jusqu’aux réverbères. Jeanne, qui a passé ses jours à s’excuser est brusquement frappée par le mal. «  Il y a quelque chose  », lui a dit le médecin en découvrant ses examens médicaux. Quelque chose. Pauvre mot. Stupéfaction. Et autour d’elle, tout se fane. Son mari, les autres, sa vie d’avant.

En guerre contre ce qui la ronge, elle va prendre les armes. Jamais elle ne s’en serait crue capable. Elle était résignée, la voilà résistante. Jeanne ne murmure plus, ne sourit plus en écoutant les autres. Elle se dresse, gueule, griffe, se bat comme une furie. Elle s’éprend de liberté. Elle découvre l’urgence de vivre, l’insoumission, l’illégalité, le bonheur interdit, une ivresse qu’elle ne soupçonnait pas.
Avec Brigitte la flamboyante, Assia l’écorchée et l’étrange Mélody ( qui leur raconte que sa fille Eva a été enlevée par son ex-compagnon) trois amies d’affliction, Jeanne la rebelle va détruire le pavillon des cancéreux et élever une joyeuse citadelle.

Sorj Chalandon explore ici ce qu’est la sororité, la fraternité au féminin. Celle qui unit les femmes, jusqu’au bout. Trop loin ? J’ai eu un peu de mal à suivre l’auteur – que je respecte énormément et dont plusieurs des romans ont été chroniqués sur ce blog – jusqu’à la fin de son histoire. Au fil des pages, malgré la description des affres de la maladie, on assiste à une fuite en avant que je trouve assez peu crédible. Dommage.

Extraits

Page 80 :« J’avais compris. J’avais peur. Je n’avais pas demandé son avis à mon mari. Il existait peut-être un moyen d’empêcher cela ? Brigitte m’a parlé d’elle. De son premier cancer. Ses cheveux qui l’avaient quittée l’un après l’autre, et puis par poignées, enfin par plaques. Elle m’a raconté le regard des autres. La contagieuse, la galeuse, la lépreuse, tous ces mots qu’elle entendait dire. Alors, avant de ressembler à une damnée, Brigitte avait tout coupé. C’est elle qui avait décidé, pas le venin. Son corps n’appartenait ni au cancer ni à ceux qui voulaient l’en guérir. Et voilà qu’elle me proposait de faire de même. Maintenant. Prendre mes cheveux par surprise. Elle serait là. Et Assia, et la jeune Mélody. Elles m’accompagneraient. Ni devoir ni obligation, amitié. Un peu comme si j’allais essayer une robe. Les copines attendraient derrière le rideau d’essayage. Rien de plus. Je ne savais pas. »

Page 87 :« Nous entrions dans l’appartement. Elle avait les clefs à la main. Je parlais, je parlais. Plus la gêne m’étrangle et plus les mots se pressent. Non, tout n’était pas chic. Un mélange brouillon de trois vies. Celle de Brigitte, faite de meubles montés sur un coin de parquet, de tabourets hauts, d’objets chinés, de souvenirs marins et cette fausse commode, empruntée à un ancien amant, accessoiriste de plateau. Celle d’Assia, entourée de voiles colorés, de cuivres, d’arabesques et de tapis d’Orient. Celle aussi de Mélody, qui tenait dans quelques valises au-dessus de la penderie. Pas un écrin, une bulle. Un repaire de femmes qui n’attendent plus rien du dehors. »

Page 224 : « J’avais sorti la photo d’Eva de mon sac. La plus belle petite fille du monde me souriait. Elle était ma force et nous serions la sienne. J’ai regardé les vêtements sombres qui m’accusaient. La tondue, l’infanticide, la larguée par son mec, la trahie par son corps. J’ai rêvé pour moi de couleurs. Après l’hiver, je devais me changer en été. »

« Une joie féroce », Sorj Chalandon, Grasset. 

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