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Rentrée littéraire

GAUDE OK

Laurent Gaudé n’a pas besoin de moi pour vendre des romans, c’est un fait.

Des années pourtant que je suis cet auteur, découvert, comme beaucoup par le prisme de « Le soleil des Scorta », prix Goncourt 2004.

J’avais alors plongé dans ses romans précédents « La mort du roi Tsongor » et « Cris » avant d’attendre chaque rentrée littéraire impatiemment.

Vous pouvez retrouvez ici le post concernant « Dansent les ombres », paru l’an dernier et qui m’avait donné envie d’aller découvrir Haïti.

Le voici de retour avec « Ecoutez nos défaites », toujours chez Actes Sud.

Un roman dense qui mêle quatre époques, quatre histoires. Quatre manières d’appréhender le destin, qu’il soit victorieux ou voué à la défaite.

Les siècles et les guerres se mélangent. Et au fil des pages, la défaite se veut militaire et/ou intime.

Chacun y va de sa stratégie pour gagner la victoire. Mais s’agit-il de battre son ennemi ou de lui survivre, s’interroge l’auteur. Le prix à payer n’est-il pas bien trop lourd ?

Et si seul le beau et ce qui fait notre humanité valaient la peine qu’on se batte pour eux ?

 

L’histoire ? Un agent des services de renseignements français, Assem Graïeb, gagné par une grande lassitude est chargé de retrouver à Beyrouth un ancien membre des commandos d’élite américains soupçonné de divers trafics. Il croise le chemin de Mariam, une archéologue irakienne qui tente de sauver les trésors des musées des villes bombardées. Les lointaines épopées de héros du passé scandent leurs parcours – le général Grant écrasant les Confédérés, Hannibal marchant sur Rome, Hailé Sélassié se dressant contre l’envahisseur fasciste…

Laurent Gaudé dit de son roman (sur le site de son éditeur Actes Sud) qu’il « est un livre sur le temps ». […] Mais c’est aussi un livre qui essaie de saisir ce continuum qui nous traverse, nous lie aux époques précédentes, dans une sorte de mystérieuse verticalité. Un peu comme le font ces objets archéologiques qui traversent les siècles, surgissent parfois à nos yeux, au gré d’une fouille, nous regardent avec le silence profond des âges et disparaissent à nouveau, vendus, détruits ou engloutis pour quelques siècles encore.

Et l’auteur de poursuivre : « Et si, dès lors, la défaite n’avait rien à voir avec l’échec ? Et s’il ne s’agissait pas de réussir ou de rater sa vie mais d’apprendre à perdre, d’accepter cette fatalité ? Nous tomberons tous. Le pari n’est pas d’échapper à cette chute mais plutôt de la vivre pleinement, librement.
Les deux personnages principaux d’Écoutez nos défaites, Assem, l’agent des services français, et Mariam, l’archéologue irakienne, sont dans cette quête. Ils sont aux endroits où le monde se convulse. Et si la défaite ne peut être évitée, du moins son approche est-elle l’occasion pour eux de s’affranchir. Quitter l’obéissance et remettre des mots sur le monde. Assumer la liberté de vivre dans la sensualité et le combat. C’est cet affranchissement commun qui rend leur rencontre possible et va les unir dans cette traversée d’un monde en feu, où ils seront peut-être défaits mais sans jamais cesser d’être souverains.”

Extraits

 Pages 30-31 : « La défaite, elle est là. Est-ce que les autres ne la voient pas ? La défaitr bestiale, gourmande, sans appel. Ils ne pourront pas lui échapper. Est-ce qu’il est le seul à la sentir ? Les généraux se passent et se repassent une petite paire de jumelles, comptent et recomptent les troupes italiennes et les régiments d’Erythréens. On lui tend parfois la paire pour qu’il apprécie à son tour la situation, mais il ne le fait pas. Lui, leur empereur à tous, roi des rois, lui, Hailé Sélassié, il est sûr de la défaite mais à quoi bon le leur dire ? Il garde son calme légendaire, n’exprime rien, ni peur, ni hâte. Il est le temps qui ne s’émeut pas, l’oeil qui voit ce qui sera. Ses hommes le contemplent, petit, dans cet uniforme impeccable qu’il est le seul à porter. Les autres, tous les autres, sont hirsutes, avec des couvertures sur les épaules, des bijoux autour du cou, aux oreilles, aux poignets, des couteaux à la ceinture. Il ne dit rien. Il était contre cette bataille. A quoi lui servirait de compter et recompter les effectifs ennemis ? Ils vont mourir aujourd’hui. Il le sait. »

Page 78 : « “Chargez!” C’est Grant qui crie cette fois. Et Buell avec lui. Sherman, Wallace et tous les officiers yankees. C’est à leur tour d’avancer. La guerre n’est faite que de cela : de ce va-et-vient : manger du terrain ou le perdre. Tenir ou reculer. Avoir la force de se relever, même après sept heures de combat, même après une nuit aux aguets, et charger sur ceux qui vous ont mis en pièce la veille. Beauregard, qui a pris la place de Johnston, voit les troupes nordistes contre-attaquer. Il comprend que tout est fini. Des hommes mourront encore, mais la bataille de Shiloh est perdue et il n’y a plus qu’à reculer ».

Page 238 : « Un nouveau coup d’Etat vient d’éclater. Est-ce que ce sont les mêmes ? Menghistu et Germame sont-ils revenus d’entre les morts pour le harceler à nouveau ? Non… On lui parle d’autre chose aujourd’hui. Il ne s’agirait pas d’un homme mais d’une sorte de société sécrète : le Derg. Il se sent las. Des années ont passé… Dans son esprit, les époques se chevauchent. Toutes les attaques à son trône se superposent. Il y a eu tant de complots. Tous les deux ou quatre ans. Et celui-ci maintenant. On tire sur le palais et le peuple ne descend pas dans la rue pour le protéger ? Quelque chose a changé. Est-ce qu’il est en train de perdre ? Il sent une fatigue qui vient de loin prendre possession de lui. Elle l’empêche de bondir, de crier des ordres, de réagir avec vigueur. Il sent que dorénavant le pays le regarde avec haine, lui et ses vingt-sept Rolls Royce, lui et sa cour d’hommes inutiles, lui et ses richesses dans un pays qui meut la bouche ouverte. »

« Écoutez nos défaites », laurent Gaudé, Actes Sud, 288p, 20 €.

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