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Quel plaisir de retrouver Rachid Benzine !

L’auteur de Ainsi parlait ma mère, de Dans les yeux du ciel et de Voyage au bout de l’enfance est présent sur les tables des librairies pour cette rentrée littéraire.

Avec Les silences des pères, l’islamologue, chercheur et écrivain, nous emmène dans un road trip de la mémoire.

L’histoire ? Un fils, Français d’origine marocaine et pianiste classique de renommée internationale, apprend au téléphone le décès de son père. Ils s’étaient éloignés : un malentendu, des drames puis des non-dits, et la distance désormais infranchissable.

Maintenant que l’absence a remplacé le silence, le fils revient à Trappes, le quartier de son enfance, pour veiller avec ses soeurs la dépouille du défunt et trier ses affaires. Tandis qu’il débarrasse l’appartement, il découvre une enveloppe épaisse contenant quantité de cassettes audio, chacune datée et portant un nom de lieu. Il en écoute une et entend la voix de son père qui s’adresse à son propre père resté au Maroc.

Il y raconte sa vie en France, année après année. Notre narrateur décide alors de partir sur les traces de ce taiseux dont la voix semble comme resurgir du passé.

Le nord de la France, les mines de charbon des Trente Glorieuses, les usines d’Aubervilliers et de Besançon, les maraîchages et les camps de harkis en Camargue : le fils entend l’histoire de son père et le sens de ses silences.

Un roman sensible, qui raconte la difficulté pour un père et son fils de se retrouver. De dépasser les non-dits et l’incompréhension qui éloigne parfois ceux qui s’aiment.

 

 

Un roman qui permet également de toucher du doigt le quotidien d’un ouvrier émigré en France durant les années 50-60. Au document s’ajoute alors une réflexion, tout en nuances, sur le deuil et le déni. Une fois encore Rachid Benzine fait mouche.

Extraits

Pages 21-22 : « Il a fallu qu’il meure pour que je revienne. 

Vingt-deux années. Et rien n’a changé. La même dalle de béton. Les mêmes visages. Ceux d’enfants devenus pères, de pères devenus grands-pères, de petits-enfants qui grandissent à l’ombre des mêmes tours. Tout disparaîtra avec eux. 

« Il n’a pas souffert », me disent mes soeurs comme pour me rassurer. Je n’ose pas leur avouer que je le croyais déjà parti depuis plusieurs années. Qu’il n’était plus qu’un lointain souvenir. « il est encore à l’appartement, dans sa chambre. Si tu veux le voir. » Elles me remercient d’être présent. « C’est important, ça lui aurait fait plaisir.  » Je n’ose pas leur dire que ce sont des paroles convenues. Que leur deuil n’est pas le mien. Que pour pleurer quelqu’un, il faut l’avoir aimé. […] »

Page 54 : « […] Ses doigts, en effet, racontent l’envergure d’une vie de labeur au fond d’une mine. Le syndrome des « doigts blancs » – la vascularisation ne se fait plus. Ses phalanges ont quasiment perdu leur motricité. Je salue mon hôte mais avant même que je puisse en dire davantage, le vieil homme se relève brusquement :  » Tu as sa voix… sa voix quand on est arrivés en France. C’est comme si il était là. Tu es de la famille d’Ahmed Chehlaoui, n’est-ce pas ?  » J’acquiesce, je me présente. Il me serre dans ses bras et colle sa joue sur la mienne. Ses larmes salées se frayent un chemin jusqu’à mes lèvres. Il se confond en excuses de ne pas avoir pu être à l’enterrement. Les invocations qu’il vient d’achever c’était pour lui, pour mon père, même si Allah, il n’en doute pas, l’avait déjà accueilli à bras ouverts en son Paradis. »

Page 137 : « Je me retrouve sur une route silencieuse qui passe non loin du pont du Gard, dont la voie serpente entre des platanes grillés par le soleil du Midi. Je suis toujours sonné par la voix grésillante de mon père qui se superpose aux contours de ce paysage de garrigue. J’entends encore une de ses phrases lapidaires, faite pour tirer un trait sur une vie, accepter l’inacceptable : « Pour le mariage, j’ai fait comme tu m’as dit. » La bande magnétique s’était comme étranglée à ces mots, et avait laissé place à un long silence. »

Les silences des pères, Rachid Benzine, Seuil, 17,50€

 

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