Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire hiver 2022

RACHID

 

Une histoire à hauteur d’enfant. Tragique. Poignante. Terrible. C’est ce que propose Rachid Benzine dans son nouveau roman. Court (80 pages seulement) mais percutant. Et pour cause.

Cette histoire, c’est celle de Fabien. Un écolier féru de poésie. Un gamin qui grandit entre ses parents et l’école Jacques-Prévert à Sarcelles. Un enfant qui va être arraché à tout cela après que ses parents décident de rejoindre la Syrie et l’Etat islamique. Un enfant qui raconte l’enfer qu’il découvre, les désillusions de ses parents, la mort de son père, l’acharnement de sa mère et la folie qui la guette …

Trois mois que Fabien rebaptisé Farid est enfermé dans un camp tenu par les Kurdes, avec sa mère et son frère, né de l’union de sa mère avec un autre combattant de l’EI, tué comme les précédents au combat. Alors Fabien/Farid raconte ces quatre dernières années. Avec une lucidité terrible. Comme pour nous plonger au plus près de l’horreur.

Rachid Benzine, que j’ai découvert via son premier roman en 2020 est enseignant et chercheur associé au Fonds Ricoeur. Islamologue, politologue, romancier et dramaturge, Rachid Benzine est une des figures de proue de l’islam libéral francophone. Après Ainsi parlait ma mère, il a écrit Dans les yeux du cieloù, cette fois, il nous entraine dans les Printemps arabes à travers la vie et le regard aiguisé de Nour, une prostituée.

Le quadragénaire poursuit avec Voyage au bout de l’enfance. Cette fois, ce n’est pas une prostituée qui raconte, mais un enfant. Une autre voix que l’on n’écoute pas forcément. un exercice de compréhension d’un islam dévoyé, violent. Aux antipodes des fondamentaux.

 

 

Fabien s’accroche à sa vie d’avant, raconte les contraintes de celle qu’il subit désormais dans ce camp où violence, maladies, faim et désoeuvrement cohabitent. Se souvient de son instituteur, de ses copains, de son chien, de ses grands-parents (via des appels téléphoniques de loin en loin) alors qu’il doit rejoindre chaque jour l’école des lionceaux du califat.

Veuve, sa mère pourrait-elle rentrer en France ? Ses enfants peuvent-ils être sauvés ? Autant de questions auxquelles un enfant ne peut pas répondre, isolé, loin de ses rêves d’être un jour un footballeur célèbre.

Un roman qui rappelle la situation toujours vécue par des femmes et leurs enfants dans ces camps  d’Al Hol et Roj   comme l’explique cet article

Ou encore ce reportage publié dans Le Monde, en août dernier.

 

1c01853_807217432-lgeai-roj-francaises-47

Dans le camp de Roj-2. Photo Laurence Geai pour Le Monde, août 2021

Extraits 

Page 12 : « […] Et puis on est arrivé en Syrie. Là, ils m’ont dit où on était. Ça s’appelait Raqqah. Papa et maman, ils étaient très excités. Je les avais jamais vus aussi heureux. Ils m’ont dit que c’était le paradis ici. Moi je croyais que le paradis c’était dans le ciel, quand on est mort. Papa s’est habillé avec des vêtements très larges et un turban. Maman a mis un niqab. Tout noir. On voyait que ses yeux. Pour rire, elle me disait que c’était pour me surveiller comme depuis la meurtrière d’un château. « 

Page 55 : « Une fois, maman a réussi à avoir mamie au téléphone grâce à une femme gentille de Daesh. Il y en a. Je n’ai pas aimé ce qu’a dit maman. Elle a reproché à mamie de lui avoir dit de sortir de Baghouz parce que, c’était sûr, on allait être rapatriés. Elle a eu vraiment confiance dans la promesse de mamie et elle lui a reproché de l’avoir trahie. Elle lui a même dit :  » Tu nous a trahis deux fois. Quand tu as alerté la police parce que tu avais peur que je parte rejoindre Daesh et quand tu m’as dit que j’allais rentrer en France après Baghouz. » 

Je sais que mamie pleurait au téléphone en lui disant qu’elle avait déjà préparé la chambre pour Selim et moi, qu’elle nous avait acheté des jouets et qu’elle avait prévu un sac de vêtements pour quand maman irait en prison en France ». 

Page 61 : « […] Je comprends pas pourquoi on prend des petits dans la guerre. Et dans ce camp. C’est pas fait pour eux la guerre. C’est pour les grands. Et même pour les grands. Quand je repense à papa… Je sais que lui non plus ne l’aimait pas cette guerre. C’est cruel une guerre. Et j’ai toujours pas compris pourquoi on se battait. Maintenant qu’on est prisonniers, on est mal traités mais c’est pas les ennemis qu’on nous avait dit. Ils nous donnent à manger. Ils nous soignent comme ils peuvent. Il y en a qui nous parlent mal. Il y a des gardiens qui me donnent des gifles parfois. Mais à l’école des lionceaux, on nous disait qu’il fallait tous les tuer et les faire souffrir. C’est quand même pas pareil. Peut-être que ceux qui me giflent ils ont eu un enfant tué par Daesh. » 

Voyage au bout de l’enfance, Rachid Benzine, Seuil, 13€. 

Laisser un commentaire

*