Flux pour
Articles
Commentaires

CVT_Ainsi-parlait-ma-mere_2188Un premier roman ! Oui, je sais, vous allez me dire, « elle va encore en faire des caisses… ». Eh bien oui ;-) Sauf que ce premier roman a été écrit par un auteur déjà prolixe, auteur d’essais notamment. Sa pièce « Lettres à Nour » a été mise en scène avec succès dans plusieurs pays. Rachid Benzine est islamologue, politologue, enseignant.

Né en 1971, il est arrivé en France à l’âge de 7 ans avec sa famille marocaine.

Codirecteur de la collection Islam des lumières aux éditions Albin Michel, il s’attache à penser un islam en phase avec notre temps et s’investit également dans le dialogue islamo-chrétien.

Avec « Ainsi parlait ma mère », il nous plonge dans la vie d’un quinquagénaire qui n’a eu d’autre choix que retourner vivre chez sa mère de 93 ans, pour l’aider et la soutenir alors que ses forces s’amenuisent. Ses quatre frères ont fait leur vie. lui, le benjamin, enseignant à l’université catholique de Louvain, n’a pas fondé de famille. Alors que la mémoire de sa mère commence à dérailler, il s’installe. Quinze ans que cette étonnante cohabitation dure. Pour le meilleur.

Chez sa mère, il se charge des courses, du ménage, de la toilette intime de sa mère aussi… Et lui lit, à chaque fois qu’elle le lui demande, « La peau de chagrin » d’Honoré de Balzac. Elle connaît désormais le roman par coeur, mais qu’importe.  C’est le lien qu’ils tissent depuis des années.

Alors au fil des pages de ce court roman de 91 pages (lues d’une traite tant j’ai été touchée et emportée par l’écriture), le narrateur nous emmène parmi les souvenirs de la famille, arrivée du Maroc en Belgique. Avec pudeur et justesse.

Il nous parle du père, mort alors qu’il n’était encore qu’un enfant, il nous évoque sa mère, analphabète et dont, avec ses frères, il se moquait de l’accent. Il nous parle de la passion de sa mère, qui fut toute sa vie femme de ménage, pour Sacha Distel, des astuces qu’elle a toujours trouvé pour que ses cinq fils ne manquent jamais de rien. Des pages de sa vie manquent pourtant. Celle d’avant le départ pour l’Europe et la Belgique.

Au final, un court roman d’une justesse incroyable. On rit, on pleure. Et on se dit qu’elle a bien de la chance, cette nonagénaire à l’accent incroyable d’avoir un fils comme ça !

Extraits

Page 27 :« Dans les années 70, au terme de ses vingt premières années de travail, ma mère a pu nous acheter une télévision. Elle regardait souvent les mêmes feuilletons, cherchant à reproduire les intonations de voix et les expressions qu’utilisaient les actrices qui l’enthousiasmaient le plus. Ainsi, dans nos discussions, au milieu d’une de ses phrases où se mêlaient maladroitement et sans aucune logique grammaticale berbère, français et arabe, nous n’étions pas surpris de voir surgir un  » tout à fait, très chère  » ou un « mais je n’en ferai rien, après vous  » qu’elle utilisait parfois à bon escient mais fréquemment à contre-emploi, déclenchant invariablement nos éclats de rire. »

Page 53 :« Je m’occupe certes de ma mère – on me loue souvent pour ça. Mais me suis-je jamais vraiment intéressé à elle ? Je veille à ce qu’elle ne manque de rien par devoir. Je l’aime sincèrement. Mais la fracture culturelle que l’école a établie entre mes frères et elle d’un côté et moi de l’autre me semble définitivement insurmontable. Les transfuges de classe ont toujours le cul entre deux chaises. Ce n’est pas la position physique qui fait mal mais la douleur muette qui vous donne ce sentiment ineffaçable d’être un traître à votre propre famille. A  celles  et ceux qui vous sont les plus chers. Et qu’inconsciemment et patiemment vous avez appris à mépriser. »

Page 87 :« Quand elle regarde sa télé, ou quand elle dort, j’observe son visage, intensément. Je refais le parcours de la moindre de ses rides, je redessine la forme de ses yeux, je remplis ma mémoire du moindre détail. Je ne veux pas penser à cet « après ». Au vide qui va planer dans la maison, au silence qui m’attend. Peut-on survivre à celle qui a vous a donné la vie, qui vous a offert SA vie, veillant jusqu’au vieil âge sur  votre bien-être, votre bonheur, soucieuse de  votre santé et de vos ennuis ? Sur quels genoux poserai-je ma tête embrumée ? Quelles mains tiendrai-je pour me réconforter ? Quels yeux pourront irradier l’amour que seule une mère sait donner ? » 

« Ainsi parlait ma mère », de Rachid Benzine, Seuil, 13€.

 

Laisser un commentaire

*