Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire

143327_couverture_Hres_0

Rachid Benzine, je l’ai découvert pendant le confinement, au hasard d’un classement des titres les plus commandés dans une librairie. J’avais alors dévoré « Ainsi parlait ma mère », dont je vous ai parlé ici

Rachid Benzine est un auteur déjà prolixe, auteur d’essais notamment. Sa pièce « Lettres à Nour » a été mise en scène avec succès dans plusieurs pays. Rachid Benzine est islamologue, politologue, enseignant.

Né en 1971, il est arrivé en France à l’âge de 7 ans avec sa famille marocaine.

Codirecteur de la collection Islam des lumières aux éditions Albin Michel, il s’attache à penser un islam en phase avec notre temps et s’investit également dans le dialogue islamo-chrétien.

Dans ce nouveau roman, « Dans les yeux du ciel », il nous entraîne dans le sillage de Nour, une prostituée quadragénaire, arabe, musulmane. Dont la vie va basculer pendant les « Printemps arabes ». C’est la voix de Nour qui nous guide. Une intermédiaire improbable car elle incarne, par la vie qu’elle mène, tous les mensonges. Mais elle parle.

 

 

Là, alors que la rue gronde, jour et nuit désormais, elle raconte les passes avec ses clients, parfois violents, souvent hypocrites avec le pouvoir et la religion. Nour parle aussi à son Dieu. Elle parle de sa mère, de sa fille qu’elle veut protéger. Elle parle de Slimane, aussi. Son jeune ami homosexuel est poète et va devenir fer de lance du mouvement. Jusqu’au drame. Elle évoque ses espoirs, sans trop se méprendre cependant sur l’avenir qu’elle juge incertain.

Le texte a été adapté au théâtre.

Un texte fort. Poignant.

Extraits

Page 10 :« Je m’appelle Nour. Chez moi, on est prostituée de mère en fille. Enfin, depuis deux générations. Pas de quoi se vanter d’un savoir-faire ancestral. Mais ça laisse des marques. Sur le corps. Sur la peau. En dedans, quelque part. Quelque chose que certains nomment l’ « âme ». Peut-être que c’est ça. Je ne sais pas trop. En tout cas, une amertume, quand tu y penses, qui te donne envie de gerber. D’en finir. Comme ça, d’un claquement de doigts. Disparaître. Un dernier vol plané du haut d’un minaret. Sous les roues d’un char. N’être plus que de la bouillie. Une flaque de chair, de sang, de merde. S’imaginer comme ça. Une image toujours plus dégueulasse que celle que renvoient ceux qui vous croisent.[…] « 

Page 53 :« Les hommes me seront toujours une énigme. Je suis sûre qu’ils valent mieux que ce qu’ils me donner à entrevoir. Même comme amants. Ont-ils jamais pensé à offrir du plaisir à une femme ? Gratuitement ? Juste pour faire plaisir ? Je peux être à genoux devant eux, bouche ouverte, j’en sais plus sur eux-mêmes qu’ils n’en sauront jamais. Ils ne se voient pas expirer, suinter, grimacer, grogner… Pleurer, parfois. Surtout, ils ne s’entendent pas parler, éructer. Me traiter de « sale pute », de s »salope » ou crier des prénoms qui me sont inconnus mais qui représentent ceux qu’ils veulent tant foutre. En me fessant. Quel besoin ont donc les hommes de salir ainsi la femme qui leur offre son corps ? Comme si le plaisir des hommes était une punition. La leur. »

Page 94 :« […] Parfois, il faut enjamber un cadavre. A demi calciné ou aux membres désarticulés. Celui-ci n’a plus de tête, mais il se cramponne encore à une banderole qui a bu son sang. Je prie pour lui et sa famille. Dans la rue, on attaque vite et on se replie tout aussi vite. On se cache dans des commerces, dans des cages d’escalier. On se réfugie chez un ami qui a une console de jeux, de l’alcool, du shit. L’instinct rend alerte, précis, rapide. Les morts et les blessés s’accumulent. L’agonie à chaque coin de rue. »

« Dans les yeux du ciel », Rachid Benzine, Seuil, 17€. 

 

Laisser un commentaire

*