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Sélection Roblès 2021

Le démon de la colline aux loups. Un titre qui laisse penser à un conte. On en est loin. Très loin. Voilà un premier roman percutant, dérangeant. L’histoire vous colle aux doigts, vous laisse des images. Pas jolies. L’histoire ? C’est celle de Duke.

Il est en prison. Pour très longtemps. Là, derrière les murs, il écrit. Tout. Sur la vieille machine à écrire prêtée par le directeur. Pour ne pas oublier, pour essayer de comprendre. « Pour « assurer sa rédemption  » aussi. Pour savoir si tout cela a été causé par le Démon de la Colline aux loups. Cet endroit, il y a vécu. Survécu plutôt. C’est là qu’il grandit au sein d’une famille défaillante, totalement dysfonctionnelle. C’est là qu’il sera violé à plusieurs reprises par son père. Oui, son père.

L’enfant, qui n’entendra son prénom pour la première fois qu’à l’école, où il atterrit sans comprendre, sans savoir. Les services sociaux sont intervenus. La gendarmerie, la justice suivront. Duke sera éloigné de cette famille maltraitante, mal-aimante.

Placé dans une famille, puis dans une autre, éloigné de sa fratrie (ils sont six enfants en tout, les deux aînés, Michael et Jonas, se sont enfuis depuis longtemps) et de sa soeur adorée. Mais Duke craint tellement de réveiller le Démon de la colline aux loups qu’il s’enfuit de chez Pete et Maria qu’il aime pourtant. Il a 16 ans. Une enfance fracassée et une adolescence qu’il va carboniser. Dans un squat, il connaîtra la violence, la débrouille, la prostitution… Mais aussi l’amour. Celui de Billy. Une jeune héroïnomane dont il s’éprend. Elle finira par se jeter dans le vide sous ses yeux…

 

La violence reviendra. Terrible. Mortifère. Duke, qui est retourné à la colline aux loups, sera arrêté. Jugé. Condamné à perpétuité malgré son discernement altéré. Puis placé en détention. Là, seul après le suicide de son codétenu, il écrit. Fait une introspection et tente de comprendre, accompagné par un prêtre qui ne fera que frôler l’horreur des souvenirs, des images, des mots de Duke.

Les phrases sont longues, sans virgule. Comme s’il fallait impérativement prendre son souffle avant de se lancer dans ce texte étourdissant, un flot d’images et de sensations qui mêle les époques, les périodes.

A la lecture de ce premier roman, qui concourt pour le 31e prix Roblès, on plonge dans l’horreur. Mais aussi dans la littérature. L’auteur, Dimitri Rouchon-Borie, âgé de 44 ans, côtoie l’horreur de près dans son métier. Journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers, ( il travaille pour Le Télégramme, à Saint-Brieuc), il est l’auteur d’un recueil de chroniques judiciaires qui a d’ailleurs servi de trame au roman Ritournelle, publié par Le Tripode, en mai.

Ce premier roman a déjà remporté le prix Première de la RTBF et avait été retenu parmi les quatre finalistes du prix Goncourt du premier roman. Qu’il n’a finalement pas eu.

En mai, j’ai interviewé Dimitri Rouchon-Borie pour La Nouvelle République dans le cadre du prix Roblès. L’article paru sur le site internet est ici.

Extraits 

Page 15 : « […]Par moments des ombres grandissaient dans la pièce et elles faisaient des bruits sourds et des fois ça hurlait des choses en rapport avec la pisse ou presque toujours en lien avec les conséquences de nos entrailles. Il m’a fallu du temps pour dessiner ces ombres et préciser leurs traits et encore plus de temps pour comprendre que c’étaient des personnes et pas n’importe lesquelles mes parents. J’ai rencontré après des gens qui avaient eu d’emblée un père et une mère avec de l’affection et des histoires comme ça je l’ai lu dans des magazines alors j’ai pu essayer de comparer. Mais moi je vous dis ceci au départ je ne me souviens pas d’avoir vu des personnes. Et je ne sais pas comment ces formes qui s’invitaient dans notre nid nous filaient à bouffer j’ai bien dû croûter sinon je serais mort mais je sais que là non plus je n’aurais pas su identifier ou nommer un repas tout était confondu dans tout. Il y a un moment dans l’enfance où chacun de nous ouvre mieux les yeux et petit à petit mon regard a séparé chaque être du nid pour lui donner un corps à lui. »

Page 129 :  » Je suis resté chez Pete et Maria des années et tout allait bien car leur façon de fabriquer des habitudes me protégeait du Démon. J’ai compris cette chose-là c’est qu’ils s’occupaient de moi et tant qu’ils le faisaient je pouvais compter sur eux c’était comme museler un fauve en lui faisant des caresses. Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. J’avais le manque des frères et sœurs et je n’osais pas demander parfois on voyait des juges ou des éducateurs et pas un ne me parlait de Clara ou de la Boule est-ce qu’ils pensaient à moi? Petit à petit j’avais commencé à m’intéresser à la solitude qui était une sorte de permanence au-dedans et à la fin on revient toujours à ce qui est constant mais je ne savais pas encore si c’était une porte fermée ou une porte à ouvrir je le tournais comme ça dans ma tête. « 

Page 152 :  » Je ne peux pas expliquer pourquoi j’avais cette intuition que je devais rester lucide c’est comme une sorte de survie et être étourdi c’était tomber à la merci de la menace et ceux qui savent pas ce que c’est d’avoir souffert de ses parents ivres morts n’ont pas l’idée. Moi je pensais que toutes ces choses ça me perdrait plus vite et que le Démon n’avait pas besoin de ça un point c’est tout. Mais la contrepartie c’est que dans ce milieu où j’étais arrivé c’était compliqué de ne pas prendre de dope car ça me gardait une clairvoyance quand tous les autres étaient défoncés et ivres et qu’ils faisaient n’importe quoi en braillant avec des postillons et de la sueur et le visage jaune. Quand ils étaient comme ça fous et dénaturés je me mettais en discrétion pour qu’ils ne m’invectivent pas et qu’ils m’oublient. Parfois je prenais soin de Billy elle devenait presque comme du verre elle restait là à me regarder avec un sourire qui n’en finissait pas et elle tenait mon visage comme le faisait ma sœur c’est comme ça qu’on s’est embrassés la première fois elle a dit t’es mignon on voit bien que tu es pas là juste pour me baiser je haïssais ce mot. »

 Le démon de la colline aux loups, Dimitri Rouchon-Borie, Le Tripode, 17€

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