7 mai 2012
Presidentielle 2012
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Nicolas Sarkozy, le président énergétique devenu président hyperactif face au candidat normal

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et au Cevipof. Au lendemain du second tour de la présidentielle, il revient sur cette France de blocs, gauche et droite, et les différentes dimensions du vote. Il analyse aussi le quinquennat de Nicolas Sarkzoy, et résume les éléments qui l’ont amené à 48 %, dimanche. Il reprend aussi les éléments de la candidature  » normale «  de François Hollande. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections.

(photo NR)

> Le président devenu trop famillier avec la fonction.

Au départ les Français aiment beaucoup l’idée d’avoir un président jeune, énergique qui a un entrain incroyable et qui mène un train d’enfer. Et puis progressivement, le président énergétique est devenu le président hyperactif, un peu volatil. Les Français étaient contents de ne plus avoir un monarque républicain qui, comme Jacques Chirac,  joue plus en fond de cour, ou François Mitterrand, façon sphinx… ils sont contents d’avoir un président qui est plus proche de fonctionner comme eux.

Mais le président plus proche est devenu le président devenu trop familier avec sa fonction. Tout cela ne lui a pas permis de se présenter en 2012 dans de bonnes conditions. Il réalise en quelque sorte d’un exploit d’être à 48 % et il le doit à sa campagne tonitruante, notamment entre les deux tours, et le fait qu’il ait pris comme stratégie d’aller sur les plates bandes des thèmes du Front National et de reprendre une partie de leurs préoccupations.

> Une rupture définitive.

Je pense que François Hollande s’est présenté avec une idée tout à fait géniale. Pourtant, dieu sait que Martine Aubry l’a moqué pendant les primaires socialistes :  » la gauche molle, le candidat normal, à la fois monsieur tout-le-monde et personne « … mais le président  » normal  » ça restera, je crois, une trouvaille de campagne extrêmement astucieuse. Il a sans aucun doute compris que dans cette période de doute où les électeurs avaient le sentiment que Nicolas Sarkozy virevoltait d’un truc à l’autre, il y avait le besoin en France de quelqu’un qui calme le jeu, qui explique qu’on est dans un monde difficile mais qu’il n’y a pas pour autant des ennemis de l’intérieur, des boucs émissaires désignés, une catégorie de Français qui sont moins intéressants, moins pertinents que d’autres… Nicolas Sarkozy, son envie au départ et même sa boulimie de réformes l’ont exposé à ce risque-là.

> Le combat gauche/droite

Le premier point est que je n’ai pas fondamentalement pas été étonné. On sait que généralement, le deuxième tour d’une élection présidentielle en France, si on met l’exception de 2002 entre parenthèses, ou de 1969, on sait que c’est un gros combat gauche/droite. Tout ce qu’on sait, qu’une partie seulement des électeurs de Marine Le Pen se reporte sur Nicolas Sarkozy, selon les enquêtes disponibles, ce report n’est pas totalement négligeable, autour de 50 à 55 %, même si une partie des électeurs de François Bayrou (il avait déclaré qu’il voterait François Hollande) ne l’a pas suivi et autour de 40 % sont venus sur Nicolas Sarkozy.

> Deux France opposées.

La sociologie du vote, comme au premier tour, oppose de manière très caricaturale les deux France qui se font face : celle du salariat en particulier du secteur public et puis celles des indépendants, des commerçants, des artisans, agriculteurs, chefs d’entreprises, cadre supérieurs… Indépendamment du fait que le niveau de la gauche est au final plus élevé qu’en 2007, on retrouve tant dans la sociologie que la géographie du vote les fondamentaux des votes de gauche et de droite. Mais avec des débordements, hors des noyaux fondamentaux, qui font la différence. Si vous regardez la carte de France, vous voyez que François Hollande a débordé par rapport aux zones traditionnelles de force à gauche : le Sud-Ouest, l’Ouest de la France. Quand on compare les cartes de Nicolas Sarkozy de 2007 et 2012, on voit qu’il a subi un véritable revers.  Il y a beaucoup moins de départements où il est majoritaire, Marine Le Pen a été lui manger la laine sur le dos en 2012.

> La mondialisation travaille les blocs.

Une élection présidentielle reste l’affrontement de deux blocs. Mais ces deux blocs sont moins homogènes que cela avait été le cas au début de la Ve République, ils sont travaillés en profondeur par de nouvelles dimensions comme la question de la mondialisation et de l’Europe, qui travaille l’intérieur de la gauche et l’intérieur de la droite. Il y a de nouvelles dimensions sociologiques, apparues dans la société française et liées au travail précaire, la difficulté des jeunes d’avoir un boulot. Ces nouvelles dimensions politiques ou sociologiques viennent enfoncer un coin qui se manifeste au premier tour mais, en revanche, au second tour, on est dans une logique de scrutin majoritaire à deux tours qui force les blocs à se reformer.

 > Une victoire pas si étriquée.

On a entendu des commentaires parlant de victoire étriquée mais je ne pense pas qu’on puisse le dire. Si on le regarde en nombre d’électeurs, le pourcentage qui les sépare est faible mais en nombre d’électeurs, ça commence à chiffrer, près d’un 1,5 million. C’est conséquent, c’est la taille d’une grande ville comme Lyon. C’est une victoire claire mais pas écrasante et c’est ce que l’UMP voudra retenir coûte que coûte c’est que François Hollande a été moins bien élu que Nicolas Sarkozy en 2007. Mais en 2007, le ressort de cette élection avait été la capacité de Nicolas Sarkozy d’absorber les électeurs du Front National dès le premier tour.

> La France de droite ou de gauche.

C’est une question super-compliquée alors qu’elle paraît simple. Parce qu’il y a différentes dimensions qui motivent les votes des Français. Il y a celle qui est très idéologique, sur une dimension gauche/droite, sur les enjeux sociaux économiques avec en fond deux interprétations des notions de l’égalité et de la compétitivité. Sur cette première dimension, il est clair que la majorité des Français est favorable à l’économie des marchés. Mais en même temps, la France est un pays où le sentiment de l’égalité est très important.

Dernièrement nous avons introduit dans les enquêtes du Cevipof une question que nous appelons entre nous la question Robin des Bois : « pour rétablir la justice sociale faudrait-il prendre aux riches pour redonner aux pauvres ? » Vous avez une grande majorité de Français, près de 60 %, qui sont d’accord avec cette idée. De la même manière est-ce qu’il faut permettre aux entreprises de licencier plus facilement, vous ne trouverez pas une majorité de Français qui diront oui.

> La deuxième dimension.

Mais il y a une deuxième dimension qui est une dimension de valeurs ou culturelle. La mondialisation, l’intégration européenne, l’immigration, le mariage gay, l’euthanasie… Et cette deuxième dimension n’est pas totalement alignée ou cohérente avec la première.  A droite entre ouverture culturelle et tolérance des minorité ou droite autoritaire, nostalgique du passé, qui trouve que tout va mal, qu’avant c’était mieux etc. A gauche, vous allez en avoir une gauche qui dit qu’il faut accepter le monde global et ouvert dans lequel on est, ou une autre gauche, plus mélenchoniste qui va dire que la protection des frontières nationales c’est important, le protectionnisme contre les forces du capital qui nous veulent du mal depuis l’extérieur…

> Au premier tour.

Au premier tour, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont fortement présents sur la deuxième dimension et captent des électeurs qui sont inquiets d’une France ouverte et globalisée. Puis, quand vient le second tour, il n’y a plus que le candidat de la gauche et de la droite et cette dimension-là rentre un petit peu dans la coquille et c’est le combat gauche droite qui va reprendre le dessus. Il y a dû y avoir beaucoup d’électeurs de Marine Le Pen, dimanche, qui se sont dit, Nicolas Sarkozy a trahi, il devait changer la France si tel et tel point, il ne l’a pas fait mais est-ce que pour autant on a envie d’avoir un président qui fait le droit de vote des étrangers.

> Référendum pour ou anti-Sarkozy ?

Il y a les deux aspects. Dans cette élection, ce qui m’a frappé c’est à quel point les doutes, les craintes, les angoisses des Français vis-à-vis de la crise que nous traversons et les réponses qui sont données sont étroitement mêlées à la personnalité de Nicolas Sarkozy. Je crois qu’une part de l’explication tient à la baisse vertigineuse et rapide de Nicolas Sarkozy au début de son mandat qui l’a suivi tout au long de son quinquennat. Il a été en permanence à devoir incarner celui qui est nécessairement impopulaire parce qu’il fait les réformes mais la manière dont il est devenu, restera et restera impopulaire sont imputables à deux ou trois erreurs qu’il a commises en début de quinquennat et les choix comme le bouclier fiscal.

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