23 avr 2012
mariellaesvant

« Aujourd’hui le liant de la gauche, c’est l’anti-sarkozysme »

Malgré un score exceptionnel du parti socialiste, et de la gauche en général, au premier tour du scrutin présidentiel, le politologue Rémi Lefebvre, spécialiste du PS, professeur à l’université de Lille 2, fait le constat qu’il «n’y a pas de progression des idées de gauche». «Même si François Hollande est élu, il y a un phénomène de droitisation de la société incontestable, estime-t-il. Cette élection risque d’être une élection en trompe l’oeil parce que les idées de droite ne sont absolument pas défaites». Le résultat, selon lui, de l’abandon par le candidat socialiste du discours de transformation sociale pour un discours «défensif, inscrit dans un contexte économique difficile».  Interview.

Malgré quelques bains de foule, comme ici à Tours, François Hollande n'a pas réussi à soulever l'enthousiasme de la gauche. (Photo NR, Patrice Deschamps)

A aucun moment François Hollande n’a vraiment suscité d’enthousiasme. Comment expliquez-vous qu’il arrive de manière aussi nette en tête du premier tour ?
«Non seulement il n’a pas suscité d’enthousiasme mais il n’a pas cherché, il l’a dit lui même, à en susciter. Conscient de disposer de marge de manœuvre très faible, il a peur de décevoir. Et comme il  a intériorisé que la victoire était possible par usure du sarkozysme, je pense que c’est même une stratégie délibérée de ne pas susciter l’enthousiasme.»

Non seulement il arrive en tête, mais avec un score très haut…
«Il a réussi a trouver un positionnement assez subtil, en  rassurant à la fois des électeurs modérés du centre, qui ont quitté François Bayrou, passé de 18% en 2007 à 8%, tout en donnant des gages à un électorat de gauche, avec des marqueurs comme a nouvelle tranche d’impôt à 75%, et en prospérant sur le terrain de l’antisarkozisme.» «Il a aussi profité du discours très à gauche de Mélenchon, qui l’a positionné en représentant de la gauche modérée.»

François Hollande s’est beaucoup référé à l’élection de François Mitterrrand, en 1981. Mais on est loin de constater la même ferveur…
«En 1981, le PS n’avait pas exercé le pouvoir depuis 1958, et surtout, la campagne de Mitterrand était beaucoup plus à gauche. Il y a avait vraiment l’idée d’un espoir, de changer la vie… Aujourd’hui, même s’il y a une forte participation, François Hollande, à la différence de Mitterrand, qui jouait la radicalité, n’a pas vraiment cultivé la rupture…»

Quand les intentions de vote du Front de gauche culminaient à 15 ou 16 %, on annonçait un recentrage à gauche du PS. Avec 11% des voix, l’extrême gauche représentée par Mélenchon peut-elle encore peser ?
«Ce qui sert François Hollande, c’est que Mélenchon ne mette aucune condition à son ralliement. Après, François Hollande a intérêt à mobiliser ses électeurs, car un appel du leader du Front de gauche suffira pas. Il va devoir donner des signaux, au moins rhétoriques, à l’électorat de Mélenchon. Mais sans avoir besoin d’aller trop loin, puisque mathématiquement, je vois pas comment Nicolas Sarkozy pourrait refaire son retard.»

Le Front de gauche, EELV, Lutte ouvrière et le NPA se sont rangés derrière  François Hollande pour le deuxième tour, mais en spécifiant à chaque fois que c’était pour battre Sarkozy, et qu’ils ne s’identifiaient pas à son programme. C’est l’échec de la campagne de «rassemblement» menée par les socialistes ?
« Derrière, il y a les législatives, une nouvelle élection. Les compteurs vont être remis à zéro. Le Front de gauche, les écologistes et les autres partis de gauche savent bien qu’il peuvent jouer le rôle d’arbitre dans le cadre d’un gouvernement de coalition. Donc ne veulent pas se fondre dans le vote socialiste. »

N’est pas aussi le signe qu’à part le front de l’anti-sarkosysme, il n’y a plus de dénominateur commun à gauche ?
«Il y a aujourd’hui de vrais désaccords à gauche. On voit bien qu’entre Mélenchon et François Hollande, aussi bien qu’entre les écologistes et les socialistes, il y a des désaccords très nets. De ce fait, les réflexes d’union sont moins disciplinés. Aujourd’hui le liant de la gauche, c’est l’anti-sarkozysme.»

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